Cette nouvelle fut écrite en 2013 lorsqu’avec un ami, nous nous amusions à nous défier en nouvelles, s’imposant un thème et une date de rendu afin de voir ce que nos esprits pouvaient proposer de différents, de découvrir l’appropriation si personnelle qu’un mot officiait en nous. Pour cette nouvelle, la contrainte était d’utiliser la notion de « Pouvoir ».
Alam al Salim mesure de sa monture l’océan doré qui s’étant devant lui. Lui que les
dieux nomment le fils du soleil, fils de lumière, est maître de cette nature stérile. Il
n’existe région plus sauvage de ce côté de la frontière mais c’est ici qu’il a grandit et c’est
ici qu’il règnera, de la chaine de montagne brisée aux lointaines côtes de l’Est. Il domine
pour le moment de sa dune l’aurore naissante tandis que les villes se dessinent sous son
regard d’azur. Riheb, l’étalon à la robe de sable, bat le sol de son sabot impatient.
Abandonnant alors l’envoûtement que provoque l’apparition de son père, Alam al Salim
s’élance à la rencontre de son destin.
Peine et désolation sont les seuls mots qui trouvent sens à ce que l’on peut décrire du
plateau de Waqar, qui porte le nom d’un héros disparut. Un jour il défia en duel Osmane
le démon, le Djinn, le perverti. De la pointe de sa lance il lui perfora sa trachée, libérant le
peuple de l’obscurité et la terre des miasmes de la perversion. Mais c’était au-delà des
siècles et les hommes de bien ne sont pas immortels. Bien que la vie éternelle fut
proposé par les dieux à Waqar celui-ci préféra le bien de son peuple et la prospérité de la
Cité mère de Suhayl qui brille au-delà des astres. Mais la perfidie et l’envie des hommes
sont de tels fléaux qu’ils survivent à l’ombre des étoiles et s’attaquent aux esprits les plus
faibles. Une nouvelle ère et une nouvelle lignée s’étaient emparées de Suhayl et de la
plaine bénie de Waqar. Du haut du temple du soleil, le sultan Kadir ben Amer imposait
les affres de ses lois jusqu’aux plateaux fertiles qui ne portent aujourd’hui ce nom qu’en
un triste échos aux âges glorieux.
Riheb le fougueux se noie dans ses impulsions rythmées tandis qu’il porte son maître
et maître de toutes choses au profond des terres. Sur leur passage, le paysan se fige, le
nouveau né se tait et la femme se baisse. Tous, enfin, ont compris qu’arrive avec eux
l’exaucement des prières que les dieux ont entendues. Des rires se font entendre lorsque
derrière le trot céleste de Riheb de nouvelles armées se forment pour célébrer les
sauveurs. Les enfants courent en un concert sonore sur les traces des valeureux,
espérant chacun être aperçu de l’éclat bleu des yeux de celui dont parlaient les
prophètes. Tous le reconnurent et tous l’entendirent.
L’étalon majestueux ne trouvait l’essoufflement et dix villes furent franchies sous les
mêmes ovations. Les soldats du sultan eux même s’agenouillaient dans le triste de la
terre lorsque qu’Alam al Salim les toisait du haut de sa montagne. S’ils sortaient les
armes, c’était pour soutenir la cause du fils de la lumière. Bientôt entouré de phalanges
de fidèles, le dieu sur terre, héritier de Waqar, s’arma vers sa destinée. S’il brillait aux
yeux des hommes, Riheb le faisait aux regards de ses paires. Nul n’égalait sa grâce et la
force de son pas. Les myriades de bénis avançaient sans nul peur vers le pays du soleil
naissant.
Sous le bourdonnement d’une rumeur perfide, qui annonçait l’arrivée de l’ère de la
lumière éternelle, Kadir ben Amer, sultan de l’ébène, fidèle d’Osmane et père des
misères, entreprit de sortir du fond des terres son armée de damnés. Pauvres âmes
destinées à suivre dès la naissance les chemins gâtés de cette lignée infâme. Ils n’étaient
qu’êtres issus de rapts, des enfants arrachés à l’enchantement du soleil. S’ils avaient
grandit, ce n’était que courbés. Les lames et le fracas des fers sont leur seule religion. Ils
n’ont pour seul père que Kadir ben Amer qui, dans sa grande sagesse, leur avait permis
de trouver la voie de la justice authentique, leur offrant à tous la chance de voir le
chemin de la vérité. Et s’ils regardaient tous dans la même direction, c’est parcequ’ à
leurs arrivées aux geôles de Suhayl, Naël le talentueux, fidèle honorable de la cours
d’ébène, appliquait à leurs cornées sensibles les flammes de son couteau. Si par moment
Naël le fidèle en trouvait un à son goût, il l’amenait à sa chambre. Lorsqu’il en sortait,
l’enfant avait reçu le don de ne voir qu’à moitié et pouvait commencer sa formation de
général.
Le premier affrontement eut lieu à trois jours de marche de Suhayl. Les dieux avaient
apportés la nuit et les dons de la lune. Si l’armée des damnés était depuis longtemps
habituée à l’obscurité, la crainte s’imposa dans le camp du sauveur. Alam Al Salim se mit
à chanter à la lune mère et fille sa lumière l’enlaça. Tous apprécièrent en silence, en
prières, l’assaut du héros et le cimeterre étincelant d’auras argentés les guida dans le
coeur du combat.
Les fils des ténèbres ne supportèrent la charge. Les damnés assumèrent les coups
cassants et les lames mordantes. Du bruit des épées ils étaient habitués mais de divinité
ils n’avaient rencontré. Celle qui perforait ces âmes perdues, dans sa grande sagesse, leur
redonnait la vue. Il les guida de son tranchant vers le grand Oasis, le grand Puits de vie
où se trouvaient leurs pères. L’armée étincelante s’animait de l’excitation légitime de
ceux qui marquent l’histoire. Ici, dans le sable corrompu et profanateur des dunes de
Qasi, les têtes tombaient et des vies s’apaisaient. Ici, sous le regard de la mère lune qui
protégeait Qasi, l’armée de Salim embrasa la nuit.
Les heures de gloire de Kadir ben Amer s’évaporaient au delà de sa tour. Son harem ne
lui faisait plus envie, les douceurs des fruits étaient poisons dans son gosier brulant, le
temps devint son meilleur ennemi. Alam al Salim le sauveur finissait de purifier les rues
de la gracieuse ville de Suhayl et Kadir ben Amer n’osait sortir à sa rencontre. Les
derniers des damnés s’étaient éteints quelques heures plus tôt et sa garde rapprochée
l’avait abandonné, éblouit par des yeux d’azur. Seul dans son palais d’ébène, le sultan
Kadir ben Amer attendait sa venue.
Vint enfin l’homme au regard d’enfant, entouré des hommes aux coeurs libres. Le
meilleur ennemi de Kadir l’avait abandonné. Il le savait depuis qu’il avait vu, aux portes
de la Cité, la fin de Naël le talentueux et de sa horde de généraux, brisés sur les lances
des fidèles du soleil. Il le savait depuis que dans les yeux de ses femmes brillaient un
éclat qu’il n’avait su leur donner. Il le sentait aussi depuis que d’un regard échangé il fut
perforé par le bleu des dieux. Devant son maitre il voulu s’allonger, mais le sang
d’Osmane alimentait encore ses veines. Il serrait à la main la lame sombre de son père et
s’avança vers l’être qui allait lui ôter la vie.
Alam al Salim parti seul à sa rencontre, le cimeterre de lune pointé vers le sol, mais les
yeux rivé sur son destin. Le choc des armes fit frissonner les murs, les humbles témoins
de la métamorphose du temps retenaient leurs souffles, la terre elle même s’inclina en
respect. La danse était vive et ces hommes étaient beaux. Kadir ben Amer, ancien sultan,
brillait des dernières lueurs de la flamme qui va s’éteindre, consumant ces derniers
instants dans la rage et la folie. Alam al Salim que le monde aime, animait ses membres
et paraît d’une façon inconnue jusqu’alors. Son corps n’était pas celui d’un homme. Il
jouait avec grâce le jeu de son rival mais ne fatiguait pas.
Lorsque la lame de lune toucha la chaire impure, retirant par la même la tête sordide
de l’ennemi des hommes, l’éclair doré frappa le corps sans vie. L’écarlate qui s’en
échappait prit la couleur du soleil et des veines du démon sultan s’écoula le salut du
monde. La pièce se noya ces rayons d’or qui formèrent au bout d’un temps le cadeau des
dieux, l’oasis sur terre prit forme dans la pièce et l’ébène s’évapora au profit de la vie.
Alam al Salim avança avec ses hommes à la rencontre de l’horizon purifié et, dans le
silence du temps qui se fige, lui le maitre de toutes choses, il sourit.
Dans les tristes rues de la Cité de Suhayl, l’air est avare et le soleil cupide. Les hommes
courent et meurent dans l’indifférence, la même dont ils témoignent à cette petite
silhouette. L’enfant est assis depuis deux jours déjà et ne peut à présent soutenir son
bras droit. La poussière l’enlace comme une mère et le dégout des hommes a finit par le
consumer. La famine a détruit tout ce qui reste de vie en lui. Le petit enfant des rues jadis
joyeux et rêveur, dont le regard d’azur engendrait les passions, ne soutenait plus le poids
de sa fortune. Celle du coeur et de l’âme. Au loin dans la rue, le cortège du sultan de
l’ébène se faisait entendre. Si l’enfant en avait eut la force, il aurait craché à son passage.
Mais le voici déjà qu’il s’enfonce dans l’abyme de la nuit éternelle. Avant de partir, Alam
l’enfant du rêve, se voit chevalier. Avant de mourir, Alam se sait sauveur. Avant de mourir,
Alam se sent aimé. Il sourit.
Gautier Veret 31/01/2013