La Fontaine rouge

Le texte qui va suivre appartient aussi à ce defis de nouvelles que j’ai pu avoir, le thème imposé fut l’association de deux mots proposés au hasard par deux amis « fontaine » et « rouge ». Je sais aujourd’hui le résultat de ce défis peut paraître légérement indigeste mais il apparaît ici en témoin d’un style passé, dans lequel j’ai pu m’épanouir et qu’un jour j’ai désiré fuir.

 

Par delà les forêts des corbeaux pourchassant colombes, aux pentes abruptes des cimes qui
marient les ciels, à la naissance des rêves, merveilles et contes, passe le vieux nomade et son sac de
songes. Les rivières glacées coulent en ces endroits à la manière de sa verve qui jamais ne
succombe. De sa voix sourde et profonde, l’osseux délie les malices des mondes d’antan. Combien
de chevelures aux couleurs de blé, d’écorce, de rubis a-t-il ainsi enchanté lors de ses errements
malins? Les bétailleux bétaillant s’affaissaient en troupeaux pour lui laisser parole, ouvrant
docilement les oreilles des plus criards marmots, que chacun écoute et que tous s’accolent, pour
écouter ces histoires qui sortent des tombeaux. Qu’elle furent fables de princesses recluses, insolant
serpents qui torturaient la mer, diables en lutins détrousseurs de butins, aucune n’avaient l’éclat ou
la virtuosité, de l’ultime qu’il avait à conter. Qu’ils soient vieillards ou braillards, tous s’enivraient de
la légende millénaire, celle de l’auguste fontaine au ruissellement carmin. Elle que l’on ne cesse de
chercher, au delà des terres des ogres gourmands, des sylves obscures où trépassent les mélusines,
du tréfonds du monde où même les corneilles tombent. Loin, sur les hauteurs du mont de Zimna.
Elle qui tout voeu proféré octroie. Alors la plèbe entretien un silence rêveur, se voyant géant,
ministre ou empereur. Les édentés se souviennent de leur jeunesse passée, lorsque, en vain, ils
l’avaient quêté, revenant au hameau les membres mutilés et leurs fantaisies brisées. Ils tournent
alors leurs têtes ridées vers les êtres que demain accueille et voient luire dans leurs yeux la
pénétrante folie, l’orgueilleuse idée qu’ils pourraient, eux, s’en emparer. Ces hommes aux mirages
morts s’effacent lentement lorsque la voix s’éteint. Les porteurs de jouvences se trouvent seuls à
rêver, à souhaiter partir sur les chemins. Le porteur de chimères s’affaisse pour ramasser ses pièces
et quitte la bourgade qu’il a empoisonné, gardant dans son sac les espoirs harassés, chantonnant des
airs qu’on ne peut oublier.

Étaient de cet écart égaré de vertes âmes en quête de grandeur. Qui saisissaient l’espoir
d’horizons nouveaux pour la morne destinée dont ils semblaient condamnés. Vimir, le plus vif et le
plus jeune s’avance en tête le soir du départ, lorsque cinq fluettes ombres abandonnèrent leur terre.
Le rond Garret, son pain rassis aux lèvres, jette des coups d’oeil en arrière, les jumeaux Fladrin
commencent à embraser les lampes et Maxir, le plus vieux d’entre eux de ses dix-sept automnes
effacés, fait des gestes amples, ordonnant d’avancer. Les dires du conteur les avaient pénétré, eux
qui avaient vu leurs frères, leurs cousins et les benêts du village partir à l’aventure de cette pourpre
liqueur, souhaitaient questionner leurs étoiles, les suivre ou ne jamais rentrer. Être éleveur de boeufs
ou bien devenir dieux, il faut avouer que le chemin est tracé. Ils avance dans la nuit poussiéreuse
avec plus d’entrain, se retournant plus rarement, leurs pas deviennent pressant. Les monts et vallées
se succède dans la fuite scabreuse mais les esprits sont en l’air, singeant l’immensité du ciel. Aux
abords de midi, les regards sont jetés sur la forêt noire, première entrave à l’héroïque épopée.
L’osseux parlaient de vipères, de géante araignée, de morts en vie et de la vierge sombre. La quête
glorieuse vient de commencer.

Le soleil ne pénètre pas dans ces bois de misère, laissant la hantise de silhouettes
fantomatiques, errantes éternelles des jours sans lumière. Les premières heures sont rudes, l’avancée
est pénible, les yeux s’habituent, il n’aurait peut être pas fallu. Le long des arbres serpentes de
sordides ombres dans un sifflement sans fin, oh l’agonie de l’ouïe ! On regarde sous ses pieds pour
ne pas trébucher et l’on sursaute au moindre frémissement de cette jungle fabulée. Maxir est le chef
et Maxir progresse lentement. On le suit et on ne veut pas pleurer. Vimir garde ses perles aux bords
de ses yeux et fait comme tout le monde. Il avance en silence mais se met à trembloter. L’un des
Fladrin s’arrête soudainement. Là, près d’un lac dont on devine les reflets, il vient de reconnaître un
frère. Celui que sa mère pondeuse avaient laissé s’échapper au printemps. Ses yeux sont jaunes et
vitreux, un râle s’échappe de sa gorge manquante et le moignon de son bras pointe leur direction.
Ses jambes brisées ne lui permettent d’avancer mais la chanson des morts se fait entendre. A droite
et à gauche des sons gutturaux répondent. Alors le pas se presse, il faut quitter ce bois. Si l’on
avaient dressé plus haut les flambeaux, on aurait vu les larmes du Fladrin couler. Les sifflements et
les râles en glas rythment la terreur qui s’éprend de leurs coeurs. Lorsqu’une lueur bleuâtre se charge
de guider leur nuit, le groupe se précipite pour y trouver abri. Une douce mélodie fait détaler la peur
et rassure les enfants comme firent leurs mères. Bien plus que cela encore, elle les réchauffaient,
apportait le sourire. La lumière vient de cette petite masure, des feux follets tournent en ballets, et le
chant prend source d’une somptueuse femme. Elle danse au milieu des esprits, sa chevelure rousse
battant dans le vent, sa robe d’ébène virevoltant dans une grâce sans nom. Pour la première fois de
leurs vies, ils sont amoureux. Une odeur puissante vient s’emparer de leurs sens, eux que la faim
cuisait depuis l’entrée de la forêt. Sur une table semble s’amasser festins et victuailles de toutes
contrées, elle qui danse ici semble les inviter, elle tourne, elle tourne mais paraît se rapprocher.
Maxir qui a le plus vu de fois passer le conteur se souvient des contes de la vieille forêt. De cette
sirène qui se nourrie des âmes des voyageurs perdus, les prenant sous son aile et les réconfortant
avant que jusqu’au coeur elle ne pointe ses dents. Alors Maxir salive mais reprend la marche, Vimir
a sa suite et les Fladrin ensuite. Il y avait bien trop longtemps que Garret le ventripotent n’avait pas
mangé. Au moins six heures ! Il ne peut résister. Lorsque les enfants n’entendent plus le pas lourd
du camarade traînard il est trop tard. La douce succube tient Garret par la main, les feux volants
s’agitent et c’est un tourbillon ! Le gamin s’offre à la table des rois un festin dont il ne pouvait que
rêver. Chacun trouve sa fontaine, à peu de chose près. Là sous la broussaille, les affamés voient les
pupilles jaunes de la jeune danseuse, elles se tournent vers eux, font frissonner l’échine, puis dardent
le glouton d’un air amoureux. Garret ne rentrera pas chez lui. Il n’épousera pas la fille du pécheur et
ne fera plus de pain. Ici s’arrête son chemin, ici reprend le chant des morts.

La chaleur du soleil les accueille comme une vielle promesse lorsque de ces bois ils
parviennent à sortir. Ils ont faim, ils ont sommeil, leurs joues sont salées mais il faut encore marcher
et de la forêt s’éloigner. Les deux jours qui suivent se déroulent sans encombre. Maxir avait vu les
pièges des brigands, son père étant braconnier. A la tête du groupe il les avaient évité.
Mais depuis le milieu de journée, pointaient à l’horizon des gargantuesques ombres. Chacun se mit
alors à imaginer les ogres qui leur avaient été conté mais pas un seul cauchemar ne pouvait
s’approcher des hideuses apparences qu’ils allaient affronter. Des crocs entartrés et ruisselant de
sang, des globes exorbités dénués de peur, des peaux calcaires aux allures de pierre, tout de ces
géants apportait l’effroi. Ils parcourent les vallées en de courtes enjambées, dévorant les gibiers et
les âmes sans destinée. Nos jeunes amis attendirent la nuit, que les multiples repas assomment ces
monstres, pour pouvoir se frayer un chemin entre les gargouillements d’une digestion féconde. Ils
vont lentement mais d’un pas assuré, entre les carcasses et les corps démembrés. Mais la nuit est
trop courte et au réveil du soleil, de ce territoire odieux ils ne se sont échappés. Les Fladrins sont à
la traîne, l’un avait tribuché. Maxir et Vimir s’arrêtent pour les aider, lorsque l’une des montagnes
vient de se réveiller. Sous une carcasse de cerf les deux vont se cacher, contemplant impuissant les
jumeaux s’animer, courir et les poumons se perforer, dans l’espoir sourd de cette quête continuer.
D’un pas l’horreur les avait rejoint, les happant de sa main terreuse, les menant jusqu’aux lèvres.
D’un même ventre, leurs vies avaient débutés, dans un même ventre, ils furent digérés.
Maxir en a assez d’entendre Vimir pleurer. Ce gosse qui n’avait encore connu de femmes, qui
n’avait encore fumé ou connu dans l’ivresse les joies festives de l’abandon, connaissait tout des
larmes et des paupières rosées. La perte de ses amis était à prémédité. Combien de ses frères il
n’avait pas vu revenir ? Un chemin houleux était encore à traverser mais l’on voyait poindre au loin
le mont Zimna et la promesse de la renommée. Qu’avait-il à faire à s’occuper de ce vaurien
braillard ? Alors qu’il pensait à l’abandonner, au loin se mirent à retentir de fourmillant bruits
d’épées. Un champs de bataille éternel s’étend sous leurs yeux, ou soldats et archers se relèvent sans
cesse, maudits qu’ils ont été par la postérité, mauvais pour la gloire, ils avaient été jugé. Qu’on parle
de mage ou sorcier qui les avaient condamné ou simplement de la mort qui les avait boudé, voilà
près de mille ans que battaient ces épées. Les têtes arrachés claquait de leurs mâchoires déboîtés et
les bras lassés encochaient péniblement et dans une routine infâme des carreaux, des flèches ou
brassaient dans le vide. Les couleurs des drapeaux, effacées par le sang, ne montrait ni comte ni
baron. Chacun de leurs voisins, fussent-il d’une même lignée, était l’ennemi, était le danger.
Maxir et Vimir, cachés de boucliers, continuent le périple qu’il fallait continuer. Les lames
émoussées sifflaient dans l’air, les vestiges de bâtons s’enfonçaient sous terre et tout deux accolés
viennent de connaître l’enfer. Le sang caillé se devine encore, dans le regard vengeur de ceux qui
tombent à leurs pieds. Quelle morbide et triste matinée, que celle qu’ils mirent à ce carnage
dépasser. Mais, à l’orée du mont des rêves, les gestes de mille ans font leur effet. Ce qui fut une
ennemie acérée perce le ciel et dans une jambe vient se planter. Les cris et les larmes de Maxir sont
alors couverts, par l’indifférence des siècles de guerre.

Vimir l’inutile sert alors de pilier, pour que jusqu’au haut de ce mont Maxir puisse arriver.
Longue est la course et dure est la montée. Le plus vieux maudit la terre et cherche la fontaine, le
plus jeune regarde la terre et reprend son haleine. Le sommet se rapproche et l’on se remet à rêver.
La douleur s’efface, ils ont presque gagné. Ils ? Dans une poussée d’orgueil ou de douleur
qu’importe, Maxir regarde le braillard qui peine à le soulever. Si l’on conte leur histoire jusqu’aux
tréfonds des terres sera-t-il dit qu’un gémiar eut la fontaine rouge touché ? Il resserre sa main sur
l’épaule du jeunot, d’un geste sec et brusque il l’envoie valdinguer, quelques mètres plus bas, Vimir
est assommé. Le jeune fougueux reprend alors sa marche, sa jambe le pressant, il sera roi, il sera
héros. Tous ont échoué, lui est arrivé, aux abords de la fontaine sacrée. Son rire est grand, sa folie
est douce, mais sa jambe a trop saigné. Si elle avait pu encore un peu le soulever, peut être aurait-il
été exaucé. Mais le corps est faible devant tant d’ambition, et les os sont fragiles, cassent et sont
cotons. Il tombe en arrière, lui qui avait connu femme, lui qui avait fumé, qui avait connu dans
l’ivresse les joies de l’abandon, il tombe dans le ravin et voit ses dix-sept automne s’effacer.
La tête lourde et l’esprit embrumé, Vimir voit le corps de son ennemi tomber. Alors pour la
première fois depuis le début de la traversée, on ne voit nulle larme sur ses joues perlée. Sans plus
longtemps regarder cette carcasse en sang, il se met à avancer. La route est encore longue mais il ne
peut s’arrêter. Enfin, en arrivant sur le toit du monde, aux cimes du mont Zimnar, il voit ce que
nombres auraient tué pour approcher. L’osseux ne fait pas que conter, ces mythes prennent sources
dans cette fontaine endiablé. Il pense à Garret, il pense aux jumeaux. Il aurait aimé les avoir avec
lui. Il pense à leur mort, il pense à la peur, il ne veut pas connaître le même sort. Alors, en posant
ses lèvres dans l’écoulement des voeux, Vimir souhaite ne jamais mourir.
Il devint roi. En descendant de Zimnar, les morts s’affaissèrent, n’ayant plus la foi de se battre, ils
suivirent le vivant éternel. Les lames millénaires vinrent à bout des ogres gloutons, Vimir en tête
enfonçait son épée dans leurs yeux et découvrir avec stupeur que même les ogres connaissent les
pleurs. Plus aucun enfant ne tremblerait pour eux. La forêt noire fu rasée et la maison aux feux
brûlée. La divine succube s’était, elle, envolée.

Il devient roi, il connu femmes, il connu ivresse. Il connu les années, il dépassait les saisons. Il
connu la naissance, il connu la mort. De ses femmes, de sa chair, de celle qui venait de sa chair. Il
connu l’admiration des hommes, l’amour de leurs femmes. Il connu la richesse et la prospérité. Mais
il avait connu la nature de l’homme dans les hauteurs de Zimnar et il l’avait oublié. Il n’a pas vu,
dans les couloirs de ses palais, siffler les perfides injures des conspirateurs, de sa chair, de la chair
de sa chair. Des cupides qui voulaient régner. Lorsqu’il regardait l’horizon et la fertilité de son
peuple, il ne voyait pas le sort qu’on lui réservait.

Un jour, la dixième de ses femmes allait accoucher. Vimir avait demandé que l’on fasse une tour
en son honneur. Une tour somptueuse où elle pourrait vivre, abritant leur amour et les cries du
nourrisson. Ses fils la firent, ils lui construisirent. Ils vinrent aussi lui dire que l’enfant arrivait qu’il
serait père pour la vingtième fois. Alors, le sourire au lèvre, il les accompagna. Il les accompagna
dans cette tour dont il ne devait sortir. Un tour immense que seul la pierre parsemait. Il ne compris
que trop tard la froideur des coeurs, les tiraillements des âmes et le vice de sa chair. La porte fut
condamnée après qu’il fut entré et il resta dans l’obscurité. Aucun de ses cries ne parvint à sortir. Il
avait beau frapper la pierre ne cédait pas. Il pensait à la forêt, à l’horreur qu’il avait connu, a Garret
et à la sorcière, aux géantes vipères, aux morts qui marchent et qu’il avait connu. Il pensa à cela les
dix premières années, voyant s’essouffler l’espoir d’être un jour libéré. Sa chair se rapprochait de
jour en jour de ses os. Mais il ne mourait pas. L’air n’était pas renouvelé mais il n’en manquait pas.
Plusieurs fois il avait escaladé, ses doigts jusqu’au sang, qui ne se brisait pas. Plusieurs fois il avait
sauté, mais ses jambes ne faiblissaient pas. La mort n’en voulait pas et le goût du voeu devenait
amère. Combien de siècles ainsi à tourner ? Combien de fois les roches il avait compté ? Il finit par
s’affaisser et compter les années. Il enviait, Garret, sa mort de glouton, il enviait les jumeaux, frère
dans la mort, il enviait Maxir, surtout son triste sort.

Puis, au comble de siècles sans saveur, des bourdonnements virent déranger celui qui avait
quitté la raison. Vacarmes et mitrailles vinrent le réveiller, lui qui n’avait plus même la force de
bouger. Les sons se rapprochaient, il semblait les guetter, proche très proche de lui ils allaient
arriver. Ce qu’il avait vainement espéré se produisit enfin. Ses bourreaux de rocher finirent par
exploser sous les fientes des oiseaux d’argent, eux qui bourdonnaient dans le ciel azuré, eux qui
lâchaient le feu et désordonnaient la terre. Là, sous les pierres qui l’avaient écrasé, ne pouvant
mouvoir son corps sous le poids de ses regrets, il les regardait voler et tout saccager. Ils disparurent
un jour ces oiseaux vengeurs. Mais pas le ciel, ni les voiles d’étoiles. Lui qui les siècles avaient
condamné à l’obscurité, se mit à toiser le ciel. Pour l’éternité.

 

15/11/2013

Gautier Veret

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