Autoportrait de pixels

Autoportrait

 

 

Me voici à l’heure de contempler l’étranger dans le miroir. Lorsque Luciana a proposé le thème de la semaine, je pense que nous nous sommes tous trois arrêtés un instant pour mesurer la tâche grisante et terrifiante qui était à prévoir. Un Autoportrait ? Voilà donc un rendez-vous avec moi-même que je ne pourrai pas éviter. Un exercice difficile qui, je l’ai tout de suite senti, aurait à cœur de soulever de l’intime. De marquer un instant T dans la perpétuelle avancée, de jauger la balance profonde. Comme si une année placée sous le signe de l’isolement ne m’avait pas donné assez à manger de moi ! Mais qu’importe, il me faut de l’inspiration. Me voici à l’heure de contempler l’étranger dans le miroir.

 

Ce visage qui m’est propre mais que je regarde si peu et que je verrai sans doute moins que ceux de mes proches. Ce qu’il y a de moi, après tout, se cache derrière ce visage. Le teint pâle, la chevelure ébouriffée et la barbe à trous hirsute, j’ai l’apparence d’un ermite, à l’image de la présente France. Il m’arrive parfois, comme à ce jour, de me perdre dans le reflet. De ne pas véritablement me regarder, mais d’observer les mouvements et les gestes que je fais, cette image de ce que je renvoie au monde. Et parfois, comme à ce jour, je finis par me perdre dans le regard de l’autre.

 

Car je suis un peu de cet autre qui se toise. J’ai son apparence, enfin, celle que mon humeur et mon estime lui donne. J’ai ses couleurs et ses traits. Je peux les voir en lui mais les oublierai bien vite. Non ce qu’il y a de plus étrange, ce sont bien ces yeux. Il y a quelque chose de fascinant dans le regard. Peut-être car ces orbes représentent ce qu’il y a de plus vieux en nous. J’ai pu lire que les cellules de notre corps se régénéraient, se modifiaient, se remplaçaient avec le temps. Avec une rapidité plus ou moins prononcée entendons-nous. Mais celles présentes dans le cristallin de l’œil nous accompagnent du berceau à la tombe. J’ai été et serai de nombreuses personnes dans ma vie, tout se renouvellera, se transformera. Les souffrances et les joies s’enchaîneront avec entrain. Tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai ressenti et tout ce qui m’arrivera, a et aura comme compagnon quelques cellules au centre de ce regard.

 

 

Autoportrait Gautier

 

Il est ainsi étrange pour moi de penser qu’il ne me reste, d’un point de vu biologique, que cette infime partie de moi en commun avec l’enfant que j’ai été, tant cette enfance est importante pour l’homme en construction que je suis. Une introduction, un prologue aux paragraphes séduisants qui gardent un goût de lumière. Des souvenirs teintés de joie, perdus entre réel et mythes. D’une véranda forçant les halos lorsque j’observais ma mère peindre. D’un soleil éclatant d’un sud lorsque mon père nous lisait des histoires. D’un éclat brillant, comme le rire de ma sœur. Je suis marqué par cette initiation primaire.

Marqué par ma mère, cette première femme à ma vie. Par son amour incroyable et pur qui n’a jamais, quels que soient mes choix, tressailli et douté une seule fois. Si bien souvent je préfère la compagnie des femmes, c’est peut-être qu’en elles je retrouve l’écho de cette confiance primordiale.

Marqué par mon père, image proche et lointaine. Modèle que j’ai eu du mal à saisir, que j’ai éloigné sans le vouloir, que j’ai retrouvé en le souhaitant. Devant moi il semait les graines d’un courage que je ne mesure qu’à peine. Que je mettrai une vie à saisir. La fierté dans son regard comme goût d’ultime victoire.

Marqué par l’arrivée d’un guide à mon existence, d’un rôle que je devrai à jamais tenir, une extension indissociable à ma vie, ma sœur Ophélie. Si elle a le mérite d’avoir une chevelure aussi brillante que mes souvenirs, nous avons tous deux vécus ensemble nos premières expériences, nos premières histoires. Liés en un nœud dès ses premiers cris, on m’a accordé le meilleur devoir qui soit. Du plus profond de ma mémoire, mes souvenirs sont toujours liés à elle. Ils s’embellissent sans cesse.

J’ai eu par la grâce de ces êtres, le feu qui représente aujourd’hui mon chaleureux. Un bon dont j’ai été tant gorgé que je tente, par tous les moyens, de distribuer autour de moi. Ce beau bon avant que mon moi me blesse. Avant la sortie du cocon et avant la conversation au monde. Je garde encore aujourd’hui en moi, la personnalité d’un duel. D’une Promesse de l’aube à la Gary. D’un soleil radieux et d’un sombre qui, progressivement, s’est installé en moi.

 

J’ai eu beaucoup de chance. Par ma naissance, par ma famille, par ma vie. J’ai été privilégié. Pourtant, longtemps, je me suis détesté. Je regarde l’autre dans le miroir, il sourit. Oui, toi aussi tu as vécu ces années, ce plus qu’un spleen constant, cette culpabilité et cette chute d’un monde chantant. Si je devais en nommer l’origine, cela serait par des souvenirs déformés qui n’auront guère de valeur, des réécritures comme nos esprits aiment si bien en faire. Mais un jour peut-être, j’ai commencé à me comparer à d’autres, et ce que je voyais de moi ne me plaisait pas. J’ai gagné une timidité que je ne connaissais pas. Bouillonnante dans l’altérité, étouffante dans les regards. Car épris des pensées propres aux heures adolescentes, j’ai commencé à avoir peur de l’autre. Ce vertige, face à l’infini de ce qu’ils représentent. Devant eux, au tableau, dans leurs yeux, je voyais l’immensité de leurs mondes intérieurs. Je le comparais au mien, j’en avais la nausée. Un jour j’ai créé un moi qui se hait.

Il le sait bien lui, le reflet, car nous en portons encore la trace. La vie a maté la haine, aussi vrai que les mauvais souvenirs s’effacent face au temps qui passe. Que le beau brille plus grand. Mais ce duel se brave encore en moi. Moi, vestige de ces amas d’instants qui m’amènent jusqu’ici et que déjà la lumière envoie plus loin qu’il ne l’a jamais été. Car pour toi mon reflet, je suis déjà du passé.

 

Comme en peinture ou en photographie, je me mets en scène, n’existe de vrai que ce que mon esprit peut bien voir, ce que je veux vous montrer et ce qu’il reste de mes fables. Mais je vois dans mon écho bien plus. Bien plus fort que ma volonté propre, des êtres m’ont façonné. Des oncles et des tantes qui s’éloignent en distance mais qui dans l’instant des retrouvailles, dressent la table du rire et le chant des cœurs. Ma cousine qui a pris la place d’une sœur, mon cousin qui a vu en moi un modèle lorsque je ne voyais que du noir. Ces splendeurs du passé portées par ceux qu’ils restent. Parfois, face au miroir, je me force à m’aimer pour ceux qui sont partis. Je suis cet enfant découvrant les sciences à la Villette et la beauté des fourmis, dans les musées l’aviation et les reproductions du concorde, guidés par la passion d’un grand-père qu’aujourd’hui encore le silence appelle. Je suis ce bachelier inconscient découvrant les beautés de Paris dans une chambre de bonne. Découvrant une grand-mère mais surtout une femme à l’intelligence et à la bonté exemplaire. Une vivacité d’esprit et une curiosité qui m’inspire encore. Comme je regrette de n’avoir mieux vécu cette année avant que la mer ne t’emporte. J’ai appris à profiter du temps lorsque je t’ai su partir. Je suis mon dernier « Je t’aime » avant l’amer. Je profite toujours de celle qui me reste. Ma tendresse rousse et nos présents qui s’accordent. Savourer la beauté du temps, l’écoulement des secondes dans des passions communes et des discussions sans fin. Le miroir me souffle que je devrai te voir plus.

 

Je suis toujours un peu de ces femmes que j’ai aimées. Je souhaiterais avoir l’audace ou l’égo de dire que j’ai aimé chaque femme qui a eu la tendresse de partager avec moi un peu de leurs grâces mais cela serait faux. Cela vaut mieux pour elles, elles trouveront leurs astres ailleurs. Mais des parties de moi se trouvent toujours dans le passé, figées dans des instants qui avaient la saveur d’éternel. Lorsqu’ivre de présent, je fabriquais des souvenirs.

Vous me trouverez encore dans un après-midi d’août, aux prises d’un vent doux au souffle dansant au gré d’une robe noire. Une âme d’enfant découvrant sous l’ombre d’une capeline, le vert d’un regard qui l’initia à l’amour.

Vous trouverez plus loin, la trace d’un premier pas, d’une action, d’un « osé ». Un voyage choisi dans le tumulte d’une passion qui peindra nos sagas sous l’ombre de la lune. Une partie de moi serrée dans un carnet.

Vous me croiserez le sourire aux lèvres, découvrant la joie de créer des projets, lorsque je sculptais une œuvre de ma vie, insérant dans un rêve de futur ma poésie, bercé dans la chaleur d’une chevelure de feu.

Elles ont récolté le plus beau de mes verbes, ont goûté à l’ardeur ou au bûcher de mes ivresses. Supporté les élans d’un déificateur impulsif, qui voyait grandir en elles ses rimes et ses fables. Hélas, dans le crépitement de mes flammes, elles ont aussi musé avec celui qui se hait, que je souhaitais cacher.

Si l’emprise du temps m’éloigne chaque jour un peu plus d’elles, au rythme de mes mues, je mesure le précieux que chacune a pu offrir à ma vie. Car sans le savoir ou même le vouloir, en m’élevant ou me renversant, je peux dire qu’elles m’ont guidé sur le chemin des braves. Peut-être que nos âmes tout comme l’univers s’étendent. Je suis ce qu’il reste lorsque s’en va l’amour et en effaçant les maux de mes mots, j’ai appris à chérir sans souffrir.

 

Me voici divaguant le sourire aux lèvres. L’autre, en face, me rend la chaleur du souvenir. Par la fenêtre, une hallebarde de lumière ricoche sur un verre voisin et souligne certaines de mes formes. Paré de jour, j’égaye ma stature. J’ai l’instant monument. Je vois dans un furtif d’iris l’alliance de mes pièces montées et assemblées par des êtres que je chéris. Car loin des liens du sang et les épanchements du cœur, se dressent devant moi ceux à qui s’adressent mes plus beaux hymnes à l’amour. Il parait que l’on retrouve un peu de nous dans nos amis et un peu de ce qui nous manque. C’est peut-être vrai. Ce que je sais c’est que je ne serais jamais sorti du brouillard, je n’aurais jamais eu le courage de la plume. L’aplomb ou le panache du verbe. Sans avoir à mes côtés les rires et l’estime de la famille que j’ai choisi. Les amis sont les vêtements que l’on porte et je suis paré comme un roi.

 

A la force d’un noyau, vos amitiés telluriques.

A Mika et tous nos bourgeons qui fleurissent en champs d’espoir, Elysée de notre amitié qui s’améliore en fût mais bien plus en sera. Toi qui me vois plus grand que je ne serai jamais et dont la foi me guide dans l’ascension. Et nos foies élimés dans les écueils du mouroir, là où seule la fatigue te tue. Que nos logorrhées propagent notre liberté. Todo està aqui.

A Joseph, vieux compagnon de voyage, qui a construit sa force et sa droiture d’esprit en des pétales de marbre, édifiant son esprit d’une clairvoyance que mes tumultes jalousent, toi qui partages cet art. A nos indécisions qui font dériver le présent. A nos silences orateurs et nos sincérités sœurs. Au plus fort de mes piliers.

A Marion, première des lointaines âmes jumelées. Archiviste résolue des chroniques de nos folies, rythmant nos existences dans un accord de rire. Pour qui le jugement se tait lorsque l’on rentre en confidence, malgré mes dérives d’orges. Tenaces et assurés à s’accompagner au bonheur.  Aux photos et à mes majuscules en trop.

A Marie, qui m’a offert l’amour d’une grand-sœur. Qui m’a guidé de sa confiance en m’aiguillant dans mes risques. Qui a su partager sa grandeur, nous créant confidents. Chaque levée de jour verra naître en moi un éclat que tu m’as dévoilé. Englobées dans la joie comme dans la peine, brillent nos âmes vertueuses sous l’œil de la louve.  Eu amo você.

A Luciana qui partage l’enfance dans le cœur et la plume. Qui offre des rêves hauts et qui accompagne les miens sans fard. Mû par la force de ceux qui sont revenus de l’obscur pour exalter de lumière. A la quête du positif tu récoltes l’arc-en-ciel. Sûr qu’un jour un soleil portera ton nom.

A Hélène et à nos essors parallèles. Forgés d’un semblable timide, tu m’as appris à m’élever en dégageant la voie. A toi qui te pares de sublime et d’extraordinaire tout en aillant l’intelligence de ne jamais le voir. J’ai la fierté de graviter dans ta vie et d’assister à l’éruption d’une grâce.

A Myriam, qui m’a guidé dans sa lumière quand je n’étais qu’obscur. Tu m’as engagé dans l’optimiste, drapant mon fébrile d’un rayon de transmission. Nos rendez-vous de partages sont une sève de renouveau. J’ai appris à verbaliser à tes côtés. Je n’oublierai jamais que tu m’as permis de redécouvrir mon père.

Et il y a ceux que je ne cite pas, mais à qui j’adresse par tendresse mes émois en éclats, tourbillons des altérités que j’ai pu rencontrer. Qui me savent et me sentent, dans des écrits personnels, en lettres ou par satellites, à qui j’offre le poids de mon estime dans un fort confidentiel.

Et chaque rotation du soleil amène son lot de disparus. Il y a les éloignés ou les bannis. Ceux à qui l’outrage du temps fait payer le prix. Mais les échos d’affects brûlent toujours dans un écrin fini. Je rends hommage à ceux que j’ai perdu, pour ce qu’ils ont été et que nous ne serons plus. A la porte entrouverte dans l’intime qui, au hasard des chemins de nos amitiés égarées, trouvera peut-être le moyen d’offrir un nouveau souffle.

 

J’ai beaucoup parlé des autres pour me définir car je ne peux imaginer ma vie sans ces fondations. Je les vois et les sens dans chacun de mes pores. Je ne suis que respect du chemin parcouru. Le vertige s’éloigne de plus en plus. Je me mets alors à m’observer un peu mieux, le moi, et je me vois en brèves, en amas.

Je suis les images qui s’enchainent et ce que produisent mes rimes. Prisonnier des premières impressions et parfois dans la déception de ceux qui me connaissent trop. Dans le regard de mes amis, sûrement plus beau. Le compagnon félin de mes chats. Je me veux poète, je suis rêveur. Parfois un peu branleur, Mille fois héros dans le virtuel, dix fois plus dans ma tête. Je suis deux en moi. Je suis une tristesse infinie qui ne demande qu’à s’exprimer, je suis un éclat qui veut timidement s’afficher. Je suis rire et je suis chant. Je suis blagues de papa et parfois traits d’esprit. Un vers de Saez, un 16 de Dooz Kawa. Je suis lâche pour blesser, je suis celui qui veut s’effacer. Je suis optimiste contrarié. Je suis tous ces actes manqués. Je suis lectures à Carnac, pain au chocolat le matin, café grognon. J’aspire à l’harmonie dans un esprit chaos. Je rêve d’écrire, je veux m’en donner les moyens. Je suis un et cent mille. Petit à petit aventurier. Je suis ce qui résulte d’une poussière d’étoile lorsqu’on lui donne la joie. Un simple bipède qu’on a laissé là. Je suis ce que vous verrez en moi.

 

Ce portrait est le dessin d’un garçon qui veut être un bon humain. Un être qui veut commencer sa fuite vers l’Homme.

Cela commence en cet instant car devant moi se trouve un frère dans le miroir.

 

Gautier Veret  22/11/2020

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