Auguste Millet était d’humeur lugubre. Thierry, son éditeur, venait de raccrocher et les nouvelles n’étaient pas bonnes. Son dernier roman, L’Ombrelle, ne se vendait pas. Et ce malgré la campagne marketing colossale des éditions Thevenin. Leur échange, empreint d’une amitié que les batailles du temps s’étaient chargées de forger, laissait planer une nouvelle ombre qu’aucun des deux hommes ne souhaitait regarder en face. Et pourtant qu’elle était lourde cette ombre. Lourde de sens comme une plaisanterie un peu trop sincère lâchée à un diner, comme ça, pour évacuer. Comme le silence gêné qui lui succède. Comme des regards qui s’évitent.
Il n’avait jamais été question de langue de bois entre eux. « De la franchise et de la sueur » avait-été leur adage lors de leur ascension de l’anonymat aux flashs des médias. « Auguste et Thierry à la conquête de Paris ». Chacun trouvant dans l’autre un moyen de rassasier cette flamme que trouvent les amoureux de l’aube aux premiers rayons du soleil. Cet égo de penser qu’ils ont été façonnés pour eux. Ces silences ennuyés et ces demi-mots ne leur ressemblaient pas. Qu’avait-il pu se passer ?
Peut-être avaient-ils tout simplement vieilli. Cette pensée répandait un goût amer sur une sensibilité qu’Auguste se jouait à ignorer. Cette flamme, il la matait encore ! Il le sentait. Il le savait. Et pourtant il avait laissé faire les silences, donné de l’espace au trouble. Et les adresses de son ami pour ne pas froisser son estime ne l’arrangeaient en rien. Ces phrases étaient de celles que l’on enroule dans de la soie pour camoufler la merde qu’elles engendrent. L’Ombrelle allait rejoindre l’infortune populaire de son précédent ouvrage, Prélude d’un temps nouveau. Des premières semaines où l’on exploite l’aura d’un nom, d’un « Le dernier chef d’œuvre de Millet » et puis plus rien. Enfin si, les mots se passent. Ils prennent le goût de l’embarras. D’une légère déception. D’un : « c’était mieux avant ». Ils prennent le goût des silences de Thierry à Auguste et d’Auguste à Thierry. En équilibre à deux pas du gouffre de l’indifférence.
Les critiques farouchement attachées à son style libre et aérien pouvaient jadis engendrer dans leurs colonnes des lettres enflammées : « […] Plonger dans un Millet c’est accorder aux histoires la somptueuse majuscule de celles qui font l’Histoire. C’est offrir l’effleurement d’un rien en parure au sublime. C’est un rayon de soleil que l’on sent taper sur la roche, des larmes jumelées qui coulent sur nos joues, un empressement d’enfant afin de poser son regard sur une ligne amie. […] La sortie d’un Millet est un de ces grands chemins que l’on se doit d’emprunter. » Hélas ! Le lyrisme des récentes analyses avait dû se perdre le long de ces routes car pour L’Ombrelle on pouvait lire : « Un livre fort et utile, accordant une place conséquente au mystère et à l’interprétation. Mais dans cette quête perpétuelle de magnifier l’instant, Millet serait-il justement en train de passer à côté de ce que celui-ci propose ? »
Bien heureusement, quelques fidèles lecteurs l’empêchaient de sombrer dans cette seconde débâcle. Ils affichaient avec force et courtoisie un soutien sincère à Millet. Comprenaient son besoin d’explorer de nouvelles terres. Et puis après tout, il était et resterait celui qui avait donné vie au Fabuleux M. Grimaud.
Hippolyte Constantin Léonard Grimaud. Enfant d’un siècle éteint. Un nom comme un drapeau. Inventé pour s’extraire du sordide des ruelles et des coupes gorges par un ancien voyou du gang des Apaches. Toujours à la limite de la légalité mais emblème d’une moralité humaniste. Hippolyte Grimaud avait fait rêver durant vingt longues années par sa bravoure, son humour et surtout par ce jeu d’attachement, d’amitié et de séduction qu’il entretenait avec Aloïse Diane Marie Dubois, dit « Adie ». Ce duo s’envoutait dans un Paris où la magie tutoyait le sordide de l’humain. Dans une valse céleste et subtile, ils avaient poussé l’idéal romanesque aux portes de la fantaisie et en étaient revenus auréolés d’un magnétisme conquérant. Durant vingt longues années.
Durant vingt longues années, il avait renouvelé un imaginaire au rythme de leurs amours, de leurs sorts et d’une féerie des mots qui lui était propre. On le connaissait pour ça, on l’aimait pour ça. Et pour l’auteur, là était l’ennui : on ne l’estimait que pour ça. Était-il arrivé au bout de ce qu’il pouvait dire ? Avait-il enfin dénoué tous les nœuds ? Plusieurs fois, il avait adressé à Thierry Thevenin ses craintes et ses angoisses quant à sa capacité à continuer. Plusieurs fois il avait essayé d’apposer son point final dans des conclusions où fulminait le meilleur de son art. Mais Hippolyte et Aloïse étaient tant demandés… Si familier à des êtres qui s’étaient inventés en suivant leurs aventures. Thierry l’écoutait, le soutenait mais finalement le stimulait suffisamment pour continuer leur histoire. Car ils le savaient tous deux : Auguste Millet avait modelé, presque sans le vouloir, des figures qui échappait à sa plume. Et l’auteur avait l’impression qu’elles tentaient de l’étouffer avec. Tout son monde tournait autour de ces symboles bien plus puissants que lui. Chaque tome était un saut dans une abime où le plaisir d’écrire disparaissait, remplacé par une peur, une terreur de ne pas décevoir.
Vint ce qu’il devait inévitablement arriver. Las de ces échanges qui ne tournaient qu’autour de ces idoles, dans la rue, sur les plateaux télé, dans son propre foyer, Millet tira son trait fatal. Hippolyte Constantin Léonard Grimaud devait mourir. Ce fut ferme mais romanesque. Afin de protéger son monde d’un mal qui ne pouvait périr, dans un dernier face à face avec l’obscur, M. Grimaud se sacrifia et offrit une dernière danse au sublime, un dernier sourire à son Adie, un point final à son histoire.
Thierry Thevenin n’aurait rien pu dire ou faire afin d’altérer l’idée de son ami. Dans son regard il sentait qu’il était allé trop loin. Peut-être l’avait-il trop poussé. Dans le silence ils se retrouvèrent et se préparèrent à ce qui devait suivre. Ils crurent le faire du moins. Car s’ils s’étaient imaginés une réticence et quelques oppositions à ce final catégorique, ils leur avaient manqué un peu de folie afin de prévoir le cataclysme qui allait suivre la publication de M. Grimaud et la broche de l’Hiver. De l’amour à la haine il n’y a qu’un tome. Un raz-de-marée d’aversion éclata sur Auguste et des effluves de mots embaumés prirent la place des anciennes louanges. Dans les journaux en grand titre, dans les cahiers et les émissions littéraires, parfois écrit dans des langues qu’il ne connaissait pas.
Ce fut trop. Il dût s’isoler. Partir loin. Avec sa compagne Eléonore et leurs enfants, ils orchestrèrent un voyage le temps que le cri des cohues s’éteigne. Cette colère finirait par se calmer. Car même si l’on pouvait crier et décrier cette fin, on ne pouvait pas nier le dernier élan d’affection de son auteur pour sa créature. Ce dernier éloge pour son monstre.
Le tourbillon, en effet, se dissipa. Vingt ans d’aventure ont plus de poids qu’un malheureux final. Les admirateurs et les lecteurs occasionnels le décanonisèrent discrètement, on inventa des fans fictions, on préféra se souvenir d’autres arcs. Le studio en charge des adaptations discutait d’un final plus ouvert avec peut-être quelques séries dérivées sur leurs enfants ou sur Adie. Et loin d’une ville déchainée Auguste Millet réapprit à vivre.
Comme pour toute personne du peuple des auteurs, il le fit à l’étreinte de sa plume. Un peu comme on apprend à marcher. Il tituba, se releva et initia de nouvelles histoires, de nouveaux mondes. Le soutien, la confiance constante de ses proches et une rivière de nuits isolées devant son clavier lui permirent d’accoucher d’un nouveau conte au bout de cinq ans. Epris de cette liberté retrouvée, il put finir son roman Prélude d’un temps nouveau.
Cependant, cette nouvelle offrande aux rives du mérite n’eut pas le jaillissement d’antan. Il y eut, bien sûr, un penchant d’égards pour l’artisan. Des lignes élogieuses vantaient les mérites « d’un charpentier du verbe ». Mais ces honneurs se noyèrent bien vite, se débattant comme un soupir dans un orage, de nouvelles sorties et de jeunes auteurs étaient bien plus à la page.
Auguste Millet donc, seul dans sa loge et le téléphone à la main, était d’humeur lugubre. Une tristesse fiévreuse l’enlaçait tout en lui susurrant des mots inquiétants. « Ainsi L’Ombrelle ne valait pas mieux. ». « Après tout ce travail tu n’es plus capable de rien. ». Ces déjections de pensées communes enflamment certains esprits lorsqu’ils sont confrontés au Doute. Et depuis quelques jours cette entité inconstante, qui élève ou écrase les clairvoyances, se faisait plus présente. Au début comme un écho, sa force et son lexique s’affinait. Grappillant de l’espace dans son cerveau, Auguste se mit à lui donner forme. Le Doute. Ce faraud se nourrissant d’estime qui, dans les heures sombres, reste le dernier compagnon d’infortune ! Cette engeance de l’inaction se parait d’un visage que Millet connaissait bien. Dans le reflet du miroir, le Doute prenait le visage de Grimaud.
« Tu n’es l’auteur que d’une seule œuvre. ». Et dans le regard froid de sa création, Auguste ne perçut aucune volonté de l’affliger. Calme et sûr, le Fabuleux mirage de M. Grimaud énonçait cette formule avec la simplicité d’un enfant. Car à trop le laisser parler, le doute s’était changé en fatalité.
« M. Millet ? Vous passez à l’antenne dans dix minutes, vous êtes prêt ? »
La jeune assistante, la tête dans l’entrebâillement de la porte, avait chassé l’illusion de son sourire candide. Auguste Millet se ressaisit, se releva et se recoiffa. En peu de re, il se reprit. Après quelques secondes, il lui emboita le pas. Ce soir, il était l’invité d’une émission télévisée afin de parler de son dernier roman. Son portable dans sa poche était encore lourd du poids de la nouvelle. Il devrait charmer et donner de sa superbe pour rehausser les ventes. Il devrait…
Un geste le sortit de ses réflexions. La jeune femme qui le guidait maniait curieusement son collier. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle rougit un peu en baissant les yeux. Puis, elle éloigna sa main et laissa apparaître une forme en losange qui entourait une spirale argentée. Le même bijou qu’Hippolyte Grimaud offrit à Aloïse dans le tome 3, M. Grimaud et le songe de la Lune écarlate, afin du lui signifier son amour. Une aventure qui le ramena dix-sept ans en arrière. A cette époque et par ce livre, il souhaitait traduire toute la flamme qui l’animait dans l’aurore de son succès à celle qui en était et qui en sera encore la cause. Son Adie personnelle. Son Eléonore.
Surpris par une idée que des années de succès par vagues d’honneur avaient érodée, Auguste Millet se prit à sourire. Croyant que celui-ci lui était adressé, la jeune femme lui rendit une mine réjouie avant d’ajouter : « J’ai toujours adoré ce passage vous savez… Vous aviez une façon de les écrire ! » Oui, c’est vrai… A cette époque, les lignes fusaient avec simplicité. Tout lui semblait aussi évident qu’affecter ses lèvres sur celles d’Eléonore, car de là naissait la magie.
« Je me demande souvent ce qu’elle devient vous savez… ». Un instant déconcerté, Millet revint à lui renvoya à l’assistante un air un peu gêné. « … Adie ! Je me demande souvent ce qu’elle devient ensuite ! C’est par ici monsieur Millet, le deuxième siège à gauche. »
« Merci de nous rejoindre sur La Grande Virgule pour une émission sous le signe de la nostalgie et du renouveau. Nous accueillons ce soir nos invités : Anna Werdren qui va parler de son nouveau film Un Verre d’Océan. Un film de Dominique Tesson qui sort en salle mars avec donc Anna Werdren et Victor Bale à l’affiche. Bonsoir Anna ! Mélanie Lou qui nous présente son nouvel album Les nuits américaines, un album qui je dois le dire est… Bouleversant d’authenticité ! Nous aurons le temps d’en parler dans quelques instants. Bonsoir Mélanie ! Et enfin, un homme que l’on ne présente plus mais que mon prompteur me demande de présenter, l’écrivain Auguste Millet qui nous revient pour son dernier roman L’Ombrelle ! Un tonnerre d’applaudissement pour Auguste Millet ! Un grand merci à tous les trois d’être là ce soir. Je vais demander à Anna Werdren de venir s’installer dans le fauteuil, voilà juste ici. Nous allons vous parler d’Un Verre d’Océan juste après la bande annonce… »
Dans un coin de l’espace où se jouait une pièce qu’il connaissait par cœur, Auguste enchainait les verres d’eau en attendant son tour. Il ne manquait pas d’adresser quelques sourires entendus, une caméra pouvait passer. Mais il était ailleurs. Car à son tour, il se demandait ce que devenait Adie. Quel monde lui avait-il laissé en le privant de son binôme ? Avait-il été à ce point égoïste pour lui arracher ce qui comptait le plus pour elle ? Pour quoi ? Quelques chimères de renouveau ? Une crise de la cinquantaine pour aller voir si les lettres sont plus vers ailleurs ? Que devenait Adie lorsqu’il ne pensait qu’à lui ? Toujours là, dans ses tonnerres ou ses attentions. Bien plus gorgée de vie que lui, bien plus haute que Grimaud. Elle qui méritait tous les honneurs lorsqu’il n’était qu’un scribe de leur bonheur, lui qui avait perdu de vue celle qui était le cœur du récit. Oui, que devenait Eléon… Non il voulait dire, Adie, il voulait dire… Il pensait à…
« Et à présent nous demandons à M. Millet de nous rejoindre sur le fauteuil, merci beaucoup Auguste, je peux vous appeler Auguste ? Parfait, c’est un véritable honneur Auguste de vous accueillir ici ce soir. Je pense que pour beaucoup d’entre nous, nous vous avons rencontré grâce à votre saga fleuve, votre Odysssée personnelle que sont les aventures d’Hippolyte Grimaud et d’Aloïse Dubois. Oui, oui vous méritez ces applaudissements. Oui haha, je ne suis pas le seul à être un fan ici apparemment. Vous nous rejoignez pour nous parler de votre dernier roman, L’Ombrelle, sorti il y a quelques jours aux éditions Thevenin. Un roman historique dans le monde de la Belle Epoque décidemment une période que vous semblez apprécier ! On y retrouve tout ce qui nous plait dans votre style, des héros aux allures de géants, des mystères bien ficelés mais surtout une histoire d’amour qui naît sous le couvert de cette ombrelle. Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de nos deux héros de toujours, Hippolyte et Adie. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement à la lecture. Et je me suis demandé si dans ces échos, il n’y avait pas quelque chose que vous souhaitiez exprimer sur la fin abrupte de votre saga. Qu’avez-vous souhaité exprimer dans tous ces parallèles ? M. Millet ? M. Millet vous m’entendez ? M. Millet ! »
« Tu n’es l’auteur que d’une seule œuvre. ». Voilà ce que lui soufflait le visage impassible d’Hippolyte Grimaud, plus vivant que jamais et qui lui souriait tristement au milieu de cette foule silencieuse. Auguste tourna la tête à gauche, puis à droite. Chaque personne autour de lui portait le visage de son vieux camarade, l’œil pétillant et la moustache relevé, comme l’image qu’il s’en faisait. Pas comme celui de l’adaptation cinéma non, comme celui du dessin d’Eléonore après sa première lecture. Son cœur battait comme une entrée en guerre. Son bras droit pétillait comme un membre fantôme. Il avait chaud. Revenu d’entre les morts, le salaud voulait lui dire quelque chose. L’éclat trop blanc des lumières lui faisait valser la tête. Il se sentait tomber en avant.
Mais le Fabuleux M. Grimaud ne pouvait pas le laisser comme ça. D’une épaule serviable, il souleva Auguste d’un air souverain. Il l’aida à se poser dans un coin de la salle blanche. Lui releva la tête et d’un geste ami, lui posa la main sur l’avant-bras en attendant qu’il se calme. Les clones de Grimaud avaient disparu. Il ne restait plus qu’eux dans une bribe de temps.
« Ça fait longtemps que tu m’attends là ? »
Auguste tentait de bouger mais la main forte d’Hippolyte le maintenait sereinement en place.
« Cela doit faire à peu près cinq ans. »
L’auteur avait envie de rire mais rien ne sortait. Cinq ans. Depuis La broche de l’Hiver il l’attendait là, patiemment. Son cœur commençait à aller mieux, les battements de son cœur s’adoucissaient. Il tapota la main de Grimaud pour qu’il lui laisse un peu d’espace et se plaça face à lui. Le coin sur lequel il était adossé une seconde auparavant avait disparu. Auguste s’étonna de ne pas être plus surpris. Tout ce blanc. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas sentit aussi bien. Depuis…
« Comment va-t-elle ? » l’interrompit Grimaud.
… un dimanche d’octobre où les enfants étaient chez des amis. Où la journée n’était composée que de rayon de lumières sur des draps que le chaos rendait beaux. Où le regard d’Eléonore était la seule finalité du jour. Où la chaleur de ses bras dans les siens étaient la seule montagne à gravir. C’était quand déjà ?
« Je crois qu’elle va mal depuis que tu es parti. Elle ne dit rien. Je ne le voyais pas non plus. J’aurai dû faire plus attention. Je crois que tu prenais une place trop importante pour moi. Je ne voyais que toi. »
Hippolyte le regardait avec un air qui se voulait rassurant. Il laissa glisser entre ses dents blanches : « Pourtant je pensais qu’avec toi elle serait entre de bonnes mains. » avant de lâcher un rire franc et sonore. « Il va falloir que tu fasses quelque chose pour remédier à ça mon vieil ami. Et les excuses ne serviront à rien. Tu ne peux pas la faire disparaitre aussi facilement que moi. »
Les battements de son cœur s’habillaient d’une douceur de printemps. Les picotements dans son bras ne se faisaient plus sentir. Il se sentait léger.
« Auguste, tu nous dois bien ça non ? Tu te souviens de ce que je t’ai dit ? »
« Je ne suis l’auteur que d’une œuvre ? »
Et le fabuleux Hippolyte Grimaud éclata d’un nouveau de rire. Un rire qui sembla remuer l’ensemble de ce jardin cristallin. Des vibrations allaient et dansaient autour d’eux. Tremblaient dans la plénitude du vide.
« Tu es l’auteur d’une seule œuvre. Oui. » et Grimaud releva Auguste. Il lui planta son regard espiègle dans le sien sous un ballet d’ondes. « Mais n’oublie pas : Je ne suis pas le héros de cette histoire. »
De ses deux poings serrés, Hippolyte boxa la poitrine d’Auguste. Ce dernier ne s’y attendait pas et sentit le choc se caler au rythme des tremblements de l’espace. Avant qu’il ne pût réagir, Grimaud recommença. L’auteur avait la sensation que son corps entier vacillait, se tordait et frémissait. Le Fabuleux recommença. Des flashs de couleurs s’éprirent du jardin immaculé. Des sons extérieurs pénétraient l’espace. « M. M…Let ! Re…ez …ec… No.. ! »
Auguste avait peur. Il observa sa création, ce monstre qui l’avait fait tant souffrir. Il avait envie de lui demander de l’aide mais aucun son ne sortait. Dans son effroi ou dans sa peine et peut-être pour la première fois, il lui semblait alors que le fabuleux M. Grimaud avait vieilli. Des rides apparaissaient sur ce portrait que le temps avait jusqu’alors jugé bon d’épargner. A mesure que les effleurements du temps creusaient leurs sillons, son profil semblait de plus en plus familier. Comme celui qu’il avait vu dans le miroir, comme un reflet. « N’oublie pas que la tendresse est une science qui concerne les vivants. »
Grimaud serra les poings une dernière fois.
« Tu salueras Adie pour moi ».
Il frappa.
« … Après sa chute en direct sur le plateau de La Grande Virgule. Il semblerait que ses jours ne soient plus en danger. Toutes nos pensées vont à M. Millet et à ses proches… »
Une voix forte bralla : « Mais enfin Martin, tu ne veux pas éteindre cette putain de télé ? Y’en a qui essaye de dormir ! »
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Auguste se sentait bien. Allégé et aérien. Comme il ne s’était pas senti depuis longtemps. Il ne s’était pas senti aussi bien depuis… Oui… Ce matin-là.
A sa droite et dans un fauteuil, Eléonore dormait. Un rayon d’astre se faufilait sur ses traits, lui offrant courtoisement une nouvelle jeunesse dans sa pâleur. Auguste ne fit rien pour interrompre ce moment qui serait, de toute façon trop court. Il en profita pour noter que la magie du temps offre dans l’éphémère la tendresse de mondes éternels. Et que parfois ces phrases sonnent un peu mieux dans sa tête.
« Tu es sûr que tu peux te lever chéri ? »
Chancelant, Auguste se retint sur le bras de sa compagne. Dans sa panique, il fit tomber un vase immonde que son frère lui avait offert. Un échange de regard complice les fit éclater de rire, d’un rire jumelé, franc et sonore. Elle le guida jusqu’à la glace et l’aida à enfiler sa chemise. Le téléphone vibra sur la table de nuit. « Encore Thierry, lui glissa Eléonore, il s’inquiète drôlement en ce moment. » En faisant son nœud de cravate, Auguste lui répondit : « Tu parles, depuis que je lui ai parlé du nouveau tome de Grimaud et d’Adie il n’arrête plus. ».
Eléonore l’enlaça par derrière. Posa un instant son nez sur son épaule et tira ensuite la langue à leur reflet dans le miroir. « Mauvaise langue ! ». Elle offrit un baiser avant de sautiller vers la porte. Elle se retourna avant de sortir, se grattant la lèvre supérieure. « Elle pique un peu mais… La moustache te va bien chéri. »
Auguste resserra le nœud de sa cravate et, en contemplant son reflet lui répondit : « Fabuleux ! »
Gautier Veret 17/02/2021