J’hume les caresses du ciel dans l’attente d’une levée de jour, perdu dans le secret des heures souvent éprises du sommeil. Le mien a décidé de s’exiler en avance et de m’éveiller dans un temps figé. Là, quelque part sur cette terre qui a vu naître ma mère.
L’odeur de tabac froid fut l’émissaire de l’éveil, fumet que je ne peux plus sentir. Si elle porte dans son haleine les fragments de la soirée d’hier, en kaléidoscope de plaisirs tourbés, elle annonce dans un picotement crânien un nuage que je veux chasser. Les volets ouverts sur Rennes, les premières gorgées de café sont des friandises souveraines.
Un temps seul dans le salon de mon ami en M, j’ai le regard vers l’abysse du ciel. Et je suis bien. Le chant des oiseaux annonce un changement de bobines célestes quand, dans mes mains, un auteur islandais m’embarque dans sa poésie. Le livre tombe et mon âme s’élève.
Il est des lieux qui nourrissent le cœur des Hommes. Oubliés dans l’instant entre ciel et mer, dans la voix d’un aimé, soldats d’une prescience soudaine ou dans un abandon à la chair. J’entends mon ami dans la chambre d’à côté lutter contre ses rêves. J’ai trouvé ce lieu ce matin, je suis fier d’en comprendre le présent. Produits d’une légère insomnie, la joie et la tranquillité sont maîtres du concret suspendu. Bientôt je retrouverai ma mère.
Le vent souffle-t-il toujours autant ? Parfois j’oublie son cri. Il apporte dans son chant l’action, le mouvement. Esclave d’une année d’immobile j’en jalouse la fougue. Dans la peinture simple des tableaux immortels, l’écran noir sur ciel se parsème de blanc. Les abysses s’offrent la lueur. Des gouttes tombent où vont pousser les arbres, où s’écrivent les cycles.
Peut-être que ce matin, je me rends humain.
Je sens le besoin de renouer avec mes pairs. L’autre que cette année s’est jouée d’éloigner. Je veux sentir leur rayonnement, comprendre les échos de leurs désirs, recréer les miens. Et cette autre que je ne demande qu’à aimer. Tout ce temps à vivre sans vivre, immobile de torpeur, incliné devant l’infime. Le fracas du réel m’éveille ce matin. Il me dit que je les verrai tous passer, les souffles, les rires et ma mère. Le temps est un ennemi qui me veut du bien.
Il me demande de peindre au mieux l’instant. Ainsi, en Hermès voyageur, il apportera ces récits aux jours sombres. Oh ! hérauts de ma mémoire.
Ce souvenir est un endroit où je serai bien.
Puis le temps viendra réclamer son dû.
Au profond d’une vieille âme, je m’interroge. A-t-on peur de la mort uniquement si l’on a mal traité sa vie ? J’ai parfois l’impression d’avoir plus vécu l’instant que je n’aurai dû. En puisant le somptueux de la seconde d’après. Mon temps semble plus long que le battement de l’aiguille.
Et mon temps s’évapore au même titre que mes peines. Elles forment un nuage et le vent souffle toujours autant. Dans mon écorce, je veux garder des rides de rires et commencer un nouveau cycle.
Mon cœur est un endroit où je suis bien.
Je respire et vois danser les arbres. Montrent-ils un chemin ? Je veux faire de mes doutes un cerf-volant que je laisserai au souffle, ils iront rejoindre les abimes du ciel.
C’est une image qui me fait du bien.
Comme une aube, nous pouvons changer nos noirceurs en un nouveau possible. Un morceau de réel ne peut que rougir narré par le coulant d’un souvenir. Comme le café froid s’est offert pour réchauffer mon âme.
Bientôt mon frère va se réveiller. Nous conjuguerons l’instant en un nouveau présent, constellé de lumière. Ensuite nous irons voir la mer.
Ce matin est un endroit qui me veut du bien.
21/03/2021
Gautier Veret