Rouages

 

Seul, et durement jeté dans ce sentier de vie, j’erre en espérant croiser une route. Les aléas l’ont rendu rugueux, je ne perçois plus ses bords. Le vent tourne et se venge, nous n’avançons plus de concert.

 

Les rouages de l’appareil sont rouillés et le moteur peine à s’animer. Dans le froid, abattu, il s’arrête.

Voici donc venu le règne des soupirs et le revers de l’être qui se forme en moi.

L’océan de vie que j’habitais s’étend au loin tandis que je reste, triste sémaphore, dressé sur mon vieux rocher rongé par les armées d’écumes.

C’est le râle du corps mutilé par l’érosion, c’est la mort de l’âme ruinée sous les marées, c’est le temps de l’amertume.

 

Mes ruines sont statiques quand tout n’est que mouvement. La charpente est rongée, se pli et se courbe. Dans l’écœurante solitude de mon immobilité j’imagine dans le lointain l’homme que j’ai pu être et que j’ignorai.

Celui qui courait la vie, qui défiait l’époque, le fils de l’été qui de l’hiver se moque.

Ma peau s’est flétrie, mon cœur s’est durci et je sens grandir en moi le mort que je serai. Seule certitude dans l’insoutenable attente, il reste le plus fidèle, l’ami de toujours.

Il rit de l’enfant, s’étonne de l’homme et s’empare de ses âges.

 

Dépité, je grave sur ce rocher cette phrase  en testament :  « J’ai été grand, j’ai été fort, en un mot j’ai été. ».

Je pense à ceux qui me précèdent et au blanc de leurs yeux, je pense à ceux qui viendront me remplacer au cœur de l’orage.

 

Cœur alimenté par pilules et cachets. Poumons troués par la machine. Naseaux pendus par des fils.

L’esprit éveillé mais le corps empoisonné.  C’est l’illusion triomphante, celle de la vie. Je voulais vaincre le temps et il m’a enserré.

 

Je suis le chêne scié s’abandonnant à l’écoulement sans fin du ciel. Je souhaiterai pleurer mais la sève me manque. Tout me manque, y compris le temps. Je veux devenir feu mais c’est terre qui me perd. J’avais bâtit des soleils pour n’être que lumière et voici qu’à leur déclin je tremble d’affronter la nuit.

 

Je veux débrancher, revenir à mon essence. Appartenir au monde et n’être, comme lui, que matière. Reconquérir le brillant des jours, la douceur de l’herbe frôlée par la rosée, qu’enfin il m’apaise et me prenne, que je revienne à lui.

 

Gautier Veret

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