La Dame aux mille figures

Aux heures closes de la ville, ton regard soutient les envies des mortels, sourdes inclinaisons à leurs caprices de chair.  On entend l’héritage des statues s’amarrer à ta peau glacée, seule habillage à ton indifférence. Risée, toi, figurine, tu restes une apprentie.

 

A ton sourire en coin, couvert d’esprit, outrage si doux à l’occupation des hommes, à ton sourire je veux me pendre un peu. Amant de ta houle, accolé à la distraction des êtres, je les regarde brailler, roucouler et se dissiper à ta vue. Tant qu’ils se perdent dans l’étonnement des jours, ton souvenir se troque à de triviaux attraits, aux mirages urbains bâtis de fer et de plomb. Tu contes pourtant des récits d’aujourd’hui et quiconque s’épancherait au verrou de ton masque aurait rimailles au cœur, feu dans le regard.

 

Je compte un peu sur tes traits dans le sillage nocturne, tu m’apparais au loin, sémaphore contre l’ennuie et les relents de malt, auditrice complice à mon ivresse et mes idées flottantes. Si mon œil caresse la proue de ton portrait, c’est qu’en fuyant le spleen il s’est perdu un peu. Qu’il revive sagement. Qu’il s’accroche à ton visage. Cette niche, procréatrice de verves et d’émois.

 

Mais tu es une et cent mille, tu ne t’appartiens pas. Comment pourrais-tu l’oublier toi qui consacre ton sort à toiser les rimes des visages, les discussions des rides ?

 

Ces sujet de chairs s’érodent et s’effacent au temps qui leur est dû, bataillant vaillamment à perpétuer l’espèce, se recyclant sans cesse pour durer. Tu as quitté cette espace pour t’afficher triomphante, ton image au semblant d’immuable, effigie pourtant criarde de banalité.

 

Dois-je te rappeler que de ces pauvres culbutant, ma chère, tu n’es pas éloignée ? Tu ne trôneras pas longtemps, fière d’être exposée mais ne sentant nullement le vent tourner. D’autres fraîcheurs, d’autres plastiques, d’autres images à toiser, à posséder, à négliger.

 

Dans l’entre des nuits ton souvenir me semble triste, tu as compris que tu n’as rien des statues. Ces gardiennes de nos vies éphémères, musent en nous l’éclat de la distillation des siècles, pointes la passion dévorante de l’homme à la perfection, à l’ouvrage qui ne se déshonore pas. Perdue dans ces remous, tu chagrines d’un héritage qui ne t’es pas destiné.

 

Cognés aux miasmes des nuits, les hommes boivent, rient et dansent. Ils n’ont rien à t’envier. Une masse à la peau purulente se débraguette à ton visage sage, ses attributs vainqueurs à ta passivité se vident, pissent, se déchargent et chauffent le bitume où tu croyais régner. Non ma douce vraiment tu n’as rien des statues et dans vos palais de verre vous maudissez votre captivité. Ainsi multipliée, ainsi placardée, ainsi occulté.

 

Dans votre dos, sans vous le dire, se cherche une nouvelle égérie. Etait-ce une si mauvaise idée ma sœur de te garder habillée ? Une vision si prude lorsque l’on veut faire brûler, lorsque l’on veut incliner, lorsque l’on veut faire bander ? Les hommes ont l’œil habitué, abimé, usé, leur rétine sature des petites reines d’un jour. Vos sœurs vendent des voitures, des voyages, des déshabillés. Vos ancêtres ont déjà fatigué le désir qui vous était alloué.

 

Ou se cache la valeur d’une Muse, qui s’effrite à la saison qui passe? Je reste encore avec toi ma tendre car j’ai peur. Oui j’ai peur que tu ne sois farouche et qu’après ce tête-à-fibre demain tu ne sois envolée. A mon esprit retourné et mes hoquets de boissons me viennent alors d’étranges pensées. A toi qui portes ta vie comme un apparat et non plus comme un poids de carne, ma futile immortelle, ta vie sera finalement bien plus courte que la mienne. Et je dois te confier avant que ma pensée ne sombre, quitte à vous heurter, que j’aurai le sourire aux lèvres le jour où j’entendrai un enfant s’étonner et glisser à sa mère avec la fraîcheur qu’il mérite :

 

«T’as vu maman ! La fille de la pub du parfum elle a changé ! »

 

Puisse-t-il seulement le remarquer.

 

Gautier Veret

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