La disparition

La foudre claqua dans l’air peu de temps après que le messager ailé ne fît son apparition. Elle transperça un ciel d’azur sans nuage, si bien que tout Terrien su que l’affaire était d’importance. 

Hermès tressaillit un instant et chiffonna son pétase en attendant que son père se calme. Cela faisait des siècles qu’il ne s’était pas senti aussi petit. Les rires, les chants et les danses avaient cessé. Même Dionysos, si truculent d’ordinaire, laissa son regard se perdre dans un fond d’Ambroisie.

 

« Es-tu bien sûr de toi ? » vociféra le roi des dieux.

« Oui père, ils ont disparu. »

 

Un nouveau battement de colère en direction du soleil manqua de percer le char d’Apollon. Le brillant délaissa sa tâche pour rejoindre l’origine du trouble, plongeant son monde dans un abondant midi. Son arrivée ne se fit pas remarquer, ce qu’il n’avait jamais expérimenté, si bien qu’Apollon su que l’affaire était d’importance. 

Il s’approcha de son demi-frère en s’assurant de ne pas subir un éventuel éclair, lui tapota l’épaule et lui glissa : « Quelle est la colère du jour ? ». Le silence d’Hermès paru plus effrayant que mille lames de foudre. Puis le messager renfila son feutre et lui dit :

 

« J’avais une affaire à régler en Thessalie, une jeune mortelle qui se baignait dans la Pénée avait su me tenir en jouvence, par ses rires et son vin, au moins toute une décade. Une chevelure d’or et on en oublie ses devoirs ! 

Arès m’avait parlé de l’un de ces nouveaux desseins qui l’occupait dans le coin, une guerre pour une histoire de territoire, d’honneur, de cœur ou simplement une de ses humeurs. J’étais en route pour l’assister. Ce que le vin peut faire oublier ! »

 

Les deux frères s’écartèrent pour laisser fuser un courroux nacré qui vint s’écraser près du mont Parnasse. Apollon faillit faiblir mais Hermès le redressa et continua :

 

« Ne t’en fais pas pour tes fidèles de la région, écoute ce qui suit. Disons que pour cette guerre j’ai laissé quelques tours de garde à Thanatos. C’est lui qui vint m’extirper ma gaillardise par des mots que je pris pour des badineries. 

‘ Mon ami, me dit-il un peu las, ton inconstance à eu raison de ma force. Ils sont tant à se tuer que je n’ai plus la santé de les faucher. Remplace-moi, je dois me reposer.’ 

Et le voici soudainement endormi près de mon Aglaé. As-tu déjà vu dormir la mort ? C’est un spectacle à ne pas rater. Curieux de ce qui avait pu ainsi l’épuiser, je m’envolai vers le terrain de jeu des guerriers non sans avoir négocié deux ou trois baisers.

Je n’ai jamais aimé les divertissements d’Arès, que je trouve désordonnés, brutaux et vite limités. L’évènement avait cependant quelque chose d’étonnant : le fléau des hommes lui-même participait à la bataille. Ses coups de massue envoyaient leurs victimes saluer Ouranos avant de revenir s’écraser jusqu’au Tartare. On l’entendait crier : ‘ Je ne vous ai pas permis d’arrêter ‘ avant de sauter et de faire danser son gourdin sur un nouveau groupe d’hébétés.

C’est alors que je compris. En voyant se redresser les corps que j’avais vu voler. Il y avait quelque chose de sordide dans ces champs de carmin : il n’y avait aucune âme à guider. 

Les corps tranchés finissaient par se remarier, les pointes des lances par se retirer, le chant des corps par s’enrailler. Une bataille éternelle dont ses acteurs finissaient par se lasser.

Des êtres épuisés, ne cessaient de se faire empaler par des ombres toutes aussi vidées. La voici la colère d’Arès, sa guerre éternelle commençait à lasser. 

Je m’approchais de lui et lui dit : ‘ C’est bien joué grand benêt, tu t’es bien amusé, mais quelque soit ta malice tu peux l’arrêter. On ne joue pas ainsi avec les mortels.’

Les seuls mots que je l’entendis dire furent ‘ Pourquoi ne voulez-vous pas périr ‘. Au milieu d’une guerre sans gloire, il assistait doucement à l’écœurement des hommes pour son art.

 

D’un coup de sandale, je fis le tour de l’affrontement et, ne voyant toujours aucun défunt à diriger, je parti faire une escale au Styx. 

Quelle ne fut pas ma surprise. Les plages éternelles où les âmes sans obole se perdent à errer étaient vides. Pas un cri de supplique, pas un regard vide, pas une main tendue. Que les battements d’un fleuve qui ne semblait plus aussi menaçant. Le passeur était là, sur le quai, les deux pieds à terre. ‘Ou sont-ils tous passés ? ’ 

Charon fut le premier à poser cette question. Il avait le regard perdu et pensif d’un artisan à l’échoppe boudé un jour de fête. 

Je lui jetai une pièce et lui dit : ‘Emmène-moi voir mon oncle’. »

 

Le dieu voyageur fit une pause, laissa la tempête passer. 

– Alors, s’empressa Apollon, qu’as-tu appris chez notre oncle ?

– Tu dois bien t’en douter, le royaume était vide. Pas la moindre trace de chien à trois têtes, aucun supplicié au Tartare, aucun égo au Champs Elysées, rien. Un territoire entièrement vidé. Au plus profond des enfers, aucun Titan attaché.

– Oh, eut comme réponse le dieu des poètes. 

 

La colère de Zeus ne s’affaiblissait pas. Il frondait en tout sens sans même une pique d’Héra. 

– C’est historique certes, se reprit Apollon, mais toutes ces emphases, ça n’est pas un peu exagéré ?

– Tu ne comprends donc pas mon frère ? Tu te souviens de la dernière fois où tu l’as vu dans cet état ?

– Oui, c’était lors de l’affront de Prométhée

– Père a s’est toujours méfié des hommes, bien qu’il aimât leur femme. 

– Il s’est pourtant parfois attaché à ces mort…Oh, glapi le dieu des chants.

– Oui, jusqu’ici nous avions l’Ambroisie. Mais aujourd’hui, si l’on leur ôte leur caractère fini, quelle différence entre la vie d’un homme ou d’un dieu ?

 

Après un silence, Hermès tendit un verre à son frère puis, les deux garçons le sirotèrent en regardant leur père qui, soudainement paraissait plus petit.

 

Gautier Veret 24/01/2022

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