La Mort qu’on mérite

Peu de personnes ont la mort qu’ils méritent.

Certains s’en sortent auréolés de gloire, d’autres sont arrachés sans avoir vu de soir. Nous savons si bien finir dans le feu des passions qu’elles soient formées d’une plume, d’un cœur ou d’un canon. Certains s’éloignent trop vite, voyageurs imprudents. D’autres au contraire prennent trop de temps, ne laissant derrière eux que des fragments brisés, mirages de ce qu’ils ont été. Ce n’est pas le cas de notre jeune poète, qui, nous le savons est si porté à la fête. Lui qui trouvait ses rimes au gré des verres de vin et devait les rencontrer, hagard, au regard du matin. Vous vous en souvenez, il a maintes fois croqué la chronique en offrant par pelletées des miettes de son cœur, sans vergogne et sans âme pudique, lui qui se nourrissait de ses plus grands malheurs. Les verres nécessaires à son verbe lui ont causé le dernier, au bal de ces folies il s’était ainsi buté. Il fut pris l’un de ces soirs de décembre comme il en existe de tant, quand les rires et l’orge forment une passion de chants.  Au bout d’une nuit qui met à mal la vertu, collé comme vous l’imaginez à des âmes coquettes, de celles qui se font une fête à dénouer les braguettes et caresser bien trop fort les contrées du nu.  De ces satyres bruyants prompts à ponctionner les talents. Au cœur de cette fête le poète n’y trouva point l’oubli, mais pire encore, se mis à tutoyer son ennui. Comme si la solitude attendait qu’il se saoule pour lui apparaître au milieu la foule. Lui prit soudain l’envie de changer d’air au milieu de ces corps qui faisaient tout pour plaire. Il se leva et sortit avec peine, il se devait de vider sa vessie pleine. Porté par un souffle glacial qu’il trouva vivifiant, il s’éloigna le long d’un chemin, titubant. Après s’être soulagé il leva les yeux vers la nuit étoilée, les astres brillaient comme des enluminures, loin de ces maux ils étaient encore purs.  Mais l’inconscient s’était trop avancé et fut pris d’une quinte d’un relent de péché. C’est une façon plus jolie de conter qu’il déglutit.

Oui, peu de personnes ont la mort qu’ils méritent.

Peut-être l’avait-il cherché, mais dans cet environnement gelé, nous assistons tristement lecteur, à ce qui semble être sa dernière heure. Le froc et demi baissé le poète s’est noyé. Nous sommes loin des grandes odyssées lorsque la nuit est tombée. C’est ainsi que sa vie finie, étouffé dans son vomi.

Point de larmes ni de tristesse, à ceux qui trouvent dans l’ivresse, un moyen de se jouer des tours. Mourir de ça ou d’amour… Alors que le blanc s’éprend d’un corps qui fane, se dresse près de la chair ce qui fut son âme. Amusée, perturbée et un peu hébétée, elle contemple impuissante l’automate geler. C’est souvent à la croisée des mondes que le poème se fonde, ainsi aux portes de l’oubli, il se sentait quand même chez lui. Un pont de lumière se forma dans son dos et sans en parler à ses démons, il se fit une raison, il avança sous les lueurs en arceau. Bienheureux est celui qui meurt, comblé par ce qu’il peut voir, sur le chemin clair d’un miroir, ou dansent et se reflètent mille couleurs.

Mais osons, ami lecteur et suivons-le un peu, il n’est peut-être pas notre heure mais l’on peut être curieux.

 

Au bout de la route se dresse le divin, qu’importe sa foi, pourvu qu’il y en ait un.  Le sien, comme dans l’un de ses rêves de jeunesse, s’ouvrit sur une salle où l’attendaient quatre déesses. De grandes figures aux allures de sœurs, de mythes ou simples déifications, régnant dès les premières heures, le poète se trouva devant quatre saisons. Elles se mirent à parler comme d’une seule voix, lui réclamant la sève d’un dernier poème, et le ton impérieux ne laissait guère de choix, voyez lecteur, j’en blêmis moi-même :

 

A toi qui trouves la grâce des mots enchantés,

Qui a su nous parer des plus belles attentions,

Du premier de tes jours et jusqu’au dernier,

Tes vers ont le poison des grandes séductions.

 

Au jour où ton temps s’éteint,

Orgueilleux et de prudence sourd,

Puisses-tu, de ton art aérien,

Une dernière fois, nous parler d’amour.

 

 

Ordonné ainsi on ne peut qu’être touché, et tenter de céder à ces divinités. Auriez-vous la bravoure cher compagnon, d’à ces douces parèdres adresser un non ? C’est que notre poète l’avait bien saisi, touché dans l’égo par cette flatterie, mort par sa chair mais vivant par le mot, partir oui, dans un dernier assaut.

La première était jeune et fluette, lascive sur son trône de fleurs, calice dont la beauté est extraite, saupoudré d’un élan de candeur.

 

 

Printemps

 

Vous qui prenez pour psaume mes premières éclosions,

Qui soufflez vos baisers, appelant à la vie,

Primordiale mouvement, apaisé, anobli,

De gouttes du jour, vous enfantez passions.

 

Vous le matin, vous l’éclats, vous l’éveil,

Vous l’espoir et le souffle du vivant,

Douce chaude, et fille du soleil,

Vous invitez l’essor tout en nous berçant.

 

Que mes rimes doivent à votre jeunesse,

Chahutant vers l’aube pour trouver l’aplomb,

Des rêveries premières, vos rives sont papesses,

Car de l’espoir ainsi nait l’illusion.

 

J’ai porté aux nues les premières floraisons,

Gais et tendres sont les ainés mouvements,

Les formes dociles qui nous poussent à l’action,

D’un petit bourgeon, l’homme devient grand.

 

Et si de vos contours on apprécie jouvence,

C’est qu’ils forment la seule honnêteté,

Car le temps se dérobe vite d’abondance,

On aime pur, le jour on l’on est né.

 

 

La première narrée se para de lumière, joignant son rire jusqu’au bout des pétales, car de cette esquisse, elle n’était pas peu fière, d’un signe de tête elle offrit son aval.

La deuxième des sœurs se mis à sourire, ouvrant ses charmes aux contours du monde, devant tant d’attrait on ne peut que pâlir, de cette chaude brise qui d’un désir inonde.

 

 

Eté

Les souvenirs sont forts ainsi liés aux passions,

Car nul n’oublie ce qu’il est par nature,

Ce qu’il prête à l’instant en vertu de l’action,

Vous êtes le temps long, vous êtes celui qui dure.

 

Que vienne l’âge des amants,

Que vous nouez en cortège,

Eros a de l’attrait galant,

Son verre levé ! Au sacrilège !

 

Compagne éclairée, vous fécondez l’âme,

Des poètes qui se lient à leurs plumes,

Et les lèvres que nous assoiffâmes,

 Valent le plaisir que nos corps écument.  

 

Si haut, l’hymne de l’astre,

Epouse de lumière,

A deux doigts du désastre,

Votre extase est entière.

 

Au berceau succède l’envie,

Comme un changement d’air,

Et l’innocence on sacrifie,

Si c’est pour vous plaire.

 

La fervente s’éprit d’une moue sensuelle, qui donna à ces rimes un aspect charmant, si bien qu’un instant on ne vit plus qu’elle, j’en suis moi-même parfaitement dément.

Il faut vite lâcher notre regard impudique, celui qui du sang façonne l’épique, sabrons-nous je vous prie de raison, car le mot revient vite à l’action.

La troisième des sœurs s’ébroua timidement, en réponse à des rêves éhontés, après le sensuel un élan de fierté, une coupe de calme qui s’évade somptueusement. De son trône où les corolles s’endorment, on ouvre une porte aux songes à l’image vertueuse, car c’est au crépuscule que l’on orne, nos aspirations les plus audacieuses.

 

Automne

 

Goutte à goutte s’ébruite le temps,

Héraut de nos plus belles lueurs,

Désarmé, dans son chemin faisant,

Ressurgit le somptueux des couleurs.

 

Vous qui marchez sur les jours,

Sans les appesantir,

 Drapée des plus beaux atours,

Vous sublimez les soupirs,

 

Dans la folie de ce qui peut s’écouler,

Vous liez pour mieux accueillir,

Du multiple vous formez l’unité,

Une caresse pour nous adoucir.

 

Peintre du temps qui s’émiette,

Dans l’immortel d’une sensation,

De l’union vous êtes prophète,

La promesse du « nous serons ».

 

Orangez donc vos grâces,

Celles qu’on mime à l’instinct,

Pitié, que l’on s’entrelace,

Dans vos bras, nous serons un.

 

 

Erigée ainsi sans once de mélancolie, cette nouvelle attention sembla lui plaire, de pourpre sa couronne s’embellie, en une rose de crépuscule à l’allure familière.

Et vient enfin lecteur, l’ultime des grâces. Je commençais à l’aimer, comme le temps passe ! De brindille ridicule, atterré dans la neige, à sacreur de mots qui nous prend au piège ! Mais regardez la dernière semble presque attristée, dévorée par sa propre stature, est-ce des larmes ? Son regard est cerné. Elle endossa ces paroles, comme une armure.

 

Plus un mot poète.

Je n’en mérite pas,

Car votre temps s’émiette,

J’ai appelé le trépas.

 

Vous révélez nos talents,

Le mien appelle la mort,

Et vous gisez dedans,

Oh ! J’en pleurs encore.

 

 

Un flocon profond s’égara du ciel, faisons fi du subtil, il s’échappa d’elle, aux pieds de l’homme il tomba, fragile. Il saisit dans sa main ce joyau brillant. Délicat, il le porta à son cœur. Pour sa dernière course, il prit son élan, adressa son amour à la plus timide des sœurs.

 

Hiver

 

Est-ce mon regard qui s’épuise,

Ou la nuit qui s’envole ?

Que mon esprit traduise,

Ce dont mon âme raffole

 

Pour survivre au froid enveloppant,

Au sordide des inamicaux,

Dans votre prison de blanc,

Il fallut bâtir un cœur chaud

 

Fleur à vos yeux,

C’est que l’humilité opère,

Et mort au fastueux,

Dans le froid, on se serre

 

J’ai trouvé vos iris au chemin de ma plume,

Quittant l’enfance, à grands pas de géant,

J’ai chéri l’instant pour ce que nous fûmes,

Des bardes intrépides face au Temps

 

Le temps qui nous rappelle à nous,

Le début et la fin du voyage,

Le voile du mystère qui a l’avantage,

De lier les rois, d’introniser les fous.

 

Des journées naissent pour éclore une phrase,

Ou libérer une pensée,

J’ai poussé les miennes loin dans l’extase,

Pour espérer vous trouver.

 

J’eus rêvé plus grand,

En m’éteignant enfin sur ta couche,

Je regrette seulement,

Qu’une peste sorte de ma bouche,

 

De ma vie j’ai fait l’entrainement,

De ces phrases que je peine à rimer,

Ciel ! Je t’ai cherché souvent,

Fortune dans tes bras, amants d’éternité.

 

Il poussa son dernier souffle une seconde fois, ainsi porté par sa vertueuse ardeur, la plus blanche des sœurs le saisi dans ses bras, et par un baiser lui rendit sa couleur. Je suis comme vous lecteur, encore un peu troublé. Qu’une âme qui meurt, puisse se relever. Que faire devant tant d’évidence ? C’est au rire qu’on donne une nouvelle chance. Ainsi qu’aux caresses de nos deux enfants lunes, qui sur ces pages ont trouvé leur fortune.

 

De cette fable que je vous ai conté, essayant par instant, de vous impliquer, que pouvez-vous me dire ? Qu’est-il à retenir ?

 

Que peu de personnes ont la mort qu’ils méritent,

Aux danses des saisons l’on doit se préparer,

L’hiver vous attend dans un accord tacite,

Votre vie est un poème qu’il vous reste à créer.

 

 

 

 

Aux amoureux de l’hiver

Gautier Veret 11/01/2021

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