Accalmie

Prendre corps dans l’horizon d’autrui,

Mort et nuit se confondent à peine,

Sursis d’espoir entre deux vagues pleines,

Je crierai ton nom, Accalmie.

 

Par la fenêtre brisée s’invitaient les crachats du quartier. Une mesure lourde aux résonances de machines, de cris mélangés à quelques râles. La nuit était tombée et gorgeait la pièce d’obscurité. Seul un néon grésillant répondait aux lances cristallines des rayons de lune, dessinant un clair-obscur.

Drags pouvait désormais pleinement sentir l’odeur rance aux soupçons de fer. Il dut remonter son châle. Sa chouette se posa sur le bar et picora, entre les mégots d’une herbe familière aux senteurs sauvages, un mélange de restes. La pièce portait les échos d’une vie anxieuse et tourmentée. Le sol, jonché de vêtements, de bouteilles et de seringues Exa-Rêve racontait l’histoire d’une solitude assumée, d’une âme perdue cherchant l’Oubli. Sur le mur, trônait une vieille affiche où l’on pouvait reconnaitre les cornes si distinctives et le sourire de Larco Ocron, feu potentiel maire ouvert à la cause des Demis et qui en avait payé le prix. A côté, une photo du candidat serrant la main d’une jeune femme, portant des ailes timides et des oreilles allongées. Sur un badge on pouvait lire le nom : Zara Hardra. Elle aussi, une demie.

Drags glissa la photo dans sa veste et se tourna vers le bar, la main toujours greffée à son châle. Les vagues de vent ne pouvaient chasser l’odeur du sang et de mort qui habitait l’espace, en un propriétaire capricieux des lieux.

La chouette leva la tête et la tourna de l’autre côté du bar, vers la cuisine. Les traces de sang pointaient dans ce sens. La lutte avait été barbare mais rapide. Drags n’avait aucun doute sur l’état de la victime, l’effluve du cadavre s’écoulait jusqu’au bout de la rue, se mélangeant à l’odeur de pisse et d’autres déjections si familières. En contournant le bar, il put contempler l’ampleur du carnage. Ce qu’il restait d’un corps avait été abandonné dans un coin, disséminant sur son trajet quelques morceaux de son unité. Un bras, des doigts, deux ailes timides. Difficile d’assimiler ce visage lacéré aux yeux exorbités à celui de la photographie. Elle avait souffert. Elle avait essayé de se défendre, les trous dans quelques armoires et au mur pouvaient en témoigner. Le blaster avait échoué dans le coin opposé. Il y avait quelque chose de personnel dans cet acte. La lame qui avait balafré ainsi ce corps était d’une précision incroyable, mais elle n’avait pas provoqué la mort. Chacune des plaies s’étaient refermées, comme brulée. L’œuvre d’un chirurgien, ou d’un sadique. Des traces noires sur son cou marquaient la fin du voyage. Celui qui avait privé cet amas de chair de son temps l’avait regardé partir. Elle l’avait reconnu, elle avait eu peur.

La chouette émis une petite note en guise de prière.

 » Ça n’est pas encore la fin de son voyage Plume, on a encore du boulot. Va surveiller l’entrée. « 

Plume tourna sa tête vers la porte aux cadenas multiples puis vers la fenêtre qu’ils avaient emprunté, se demandant ce que Drags entendait par « entrée. » Elle sauta au sol et dans ce mouvement, se vit pousser des crocs, des pattes et des griffes. Plume la louve s’avança dans l’ouverture brisée et sur le balcon, se retint de crier à la lune.

D’une main, Drags saisit un mélange de Vernachilles et d’Ombrame. En enfonçant le tout dans ses narines, il eut quand même le temps le temps d’être agressé par l’odeur morbide. Un genou à Terre et en attendant l’effet, il remarqua dans cette pestilence un fumet particulier. Mais l’effet rapide des herbes brisa l’instant. Perça sa perception. Brula ses sens.

L’œil rouge, les oreilles affutées, il pouvait sentir battre les cœurs des porteurs de vie de tout le bâtiment. Il devait resserrer l’emprise. A l’étage et aux voisins gueulards, au crépitement insupportable du néon, au son bordélique des insectes au festin du mort. La main au-dessus de la carcasse, Drags appela :

 

Amie perdue aux portes des mondes,

L’ombre t’effraie autant que l’éclat,

Brise le rêve, douleur profonde,

Entend, brille et éclot à moi !

Un bruit guttural émanait du corps. Pris d’une convulsion, le thorax s’éleva, tourna et s’échoua. Le gosier déchiré ouvrit son abysse et le regard rouge de Drags nota les premiers filaments verdâtres s’extirper des lèvres meurtries. Elle résistait. D’ordinaire, les esprits se montraient bavards, envieux de s’octroyer justice. Celui-là n’entendait pas quitter son mausolée de chair. Très bien, il devra forcer. De sa veste, Drags sorti un talisman à la corde usée, hérissé de pierres longues aux couleurs changeantes.

 

Vois l’éclair au bout de l’échos, eau, sang et air ta nouvelle lumière

Terre du dedans, écoute la voix du monde,

L’allié et le passeur, mon nom est à toi.

 

Un nouveau cri et le corps s’abattit, vidé. Au-dessus de lui flottait une sorte de vague cherchant à prendre forme. Cherchant à retrouver ce qu’elle était, l’âme au tintement d’émeraude forma le visage de la jeune femme. Drags souffla, des gouttes de sueurs perlaient sur sa tempe et il avait du mal à garder la liaison. Plume regardait son compagnon et grogna entre ses crocs.

 

Peine amie, fis toi à moi et…

 

Le choc propulsa Drags dans le mur et fit trembler l’espace. L’esprit se rua vers la fenêtre mais Plume sauta pour l’attraper. Effrayé, il tourna dans la pièce en soutenant son cri rauque, poursuivit par Plume de nouveau en chouette. Il frôlait les murs, s’arrêtait devant les traces de ce qui fut son sang et hurlait en fondant vers la sortie. En dépassant les tessons de verre, il fut stoppé net. Plume lui tournait autour en piaillant. Drags s’était relevé et le maintenait sur place avec son reste de magie. Il jeta une de ses pierres sur l’être fantomatique. Son cri s’évanouit en un long tourbillon tandis que la pierre absorbait ce qu’il restait de Zara dans une nouvelle prison.

Drags lâcha l’étreinte et son regard repris sa teinte violacée. Avec toute cette agitation, il avait perdu sa protection et l’odeur puissante revint d’un coup. Il vomit. Il reconnaissait cette trace particulière. La jeune femme n’était pas le seul corps à avoir pourri ici. Un Mort-Vivant ? A Lork-Ran ? Sans Tech ?

La secousse avait agité l’étage et il entendait par la porte les voisins s’agiter.

 » Non mais c’est quoi ce bordel Zara ? Y’en a qui bosse ! T’arrêtes tes conneries ou jte plante la d’mie ! « 

Un poil trop tard mon vieux. Drags récupéra la pierre dans laquelle spiralait l’âme en peine. Il siffla Plume et sortit.

 

Les ruelles tentaculaires de Lork-Ran avaient l’image de ces constructions rapides qui ne devaient pas durer. Quelques générations de parias plus tard et des chômes fragiles s’accumulaient les unes sur les autres, tenant avec autant de précarité que la vie des locaux. Drags, dans l’anonymat de la ville, parcourait les derniers mètres jusqu’au lieux de rendez-vous. L’image du corps meurtri lui restait en tête. Il se sentait rassuré. Rassuré de toujours ressentir, de ne pas avoir perdu dans ces ruées ce brin qui fait l’écho, la liaison. On a tôt fait d’oublier. Il en a connu des comme lui, à force d’horreur, qui s’étaient perdus ou ne pouvaient plus se contenir, et s’étaient fait bouffer. Bouffer par la rage, bouffer par une colère plus grande que soi. Il s’en faut toujours de peu.

Le Brise-Trolls était un de ces repaires de pauvres diables aux habilités multiples. Pour un casse, un meurtre ou une soirée de beuverie effroyable on pouvait toujours y trouver gaillards. Parfois, il arrivait des clients aux missions plus… Insolites. Comme dans toute cave à pendards, l’important était la paye.

 

De derrière son bar, le tôlier de deux mètres trente repéra rapidement Drags et lui adressa :

 » Et bah mon gars t’as une sale mine, on dirait qu’tu l’as fourrée dans le cul d’un orque « 

Avant d’éclater de rire en reversant une bière devant un parterre d’habitués hilares. Drags esquissa un sourire. D’une part car personne n’a envie de vexer un Troll de 300 kilos au bras mécas capable de te découper et de te servir en shot dans le même geste. D’autre part car les années de disgrâce et les coups qu’ils avaient partagés faisaient de cette montagne ce qui ressemblait le plus à un ami. Plume mis à part.

Il lui servit un de ces mélanges sales et douteux qui faisait la réputation de l’établissement.

« Sale mission ? »

« T’as pas idée, Gralmar, t’as pas idée. »

 

Un gobelin sur échasses qui finissait une bière plus grande que lui n’arrêtait pas de rire en regardant Drags. Au bout, d’un instant, il parvint à lancer entre deux crises :

 

« C’est vrai que t’as une sale gueule ! « 

 

Gralmar, de sa main valide, le porta jusqu’à ses yeux.

 

 » Répète un peu le gnome ? « 

 

Le vert de sa peau tournait au gris et son rire s’arrêta aussitôt. Les jambes dans le vide, il n’avait peut-être jamais été aussi haut de toute sa vie, c’est en tout cas ce que racontera Gralmar quelques heures plus tard.

 

« Ça va, ça va on grand. Il ne le pensait pas. Il va me repayer un verre pour s’excuser. »

 

Le gobelin regardait Drags apeuré, avant de tourner ses yeux vers le sourire prodigieux du Troll. Gralmar le secoua un peu et des pièces tintèrent bientôt sur le bar.

 

 » Pas mal, ça suffira. »

 

Une fois à terre, l’ami rieur peina à reprendre son souffle et lorsque ce fut fait, s’éloigna en titubant sous le poids de sa pinte.

 

« Nan mais tu le crois ça ? »

« T’occupes, mon client est là ? »

« Il t’attend au fond depuis une heure. Le mec essaye d’être discret mais on sent son or d’ici à la muraille. »

 

Le client avec une silhouette fine et élancée, caché sous une longue cape brodée. Bien qu’il tentait de le cacher, on pouvait sentir l’elfe à plein nez. Il restait stoïque malgré les bruits et son regard partait dans le vide. Lorsque Drags se posta devant lui, il garda le même regard impassible.

« Bonsoir monsieur Draks. Vous revenez… seul. »

Drags posa le long talisman brodé de perles sur la table et l’elfe compris. Plume, morphée en louve, se posta sur la banquette, ne laissant que peu de place à son maître.

Allant de la louve au collier, l’elfe laissait échapper un : « Drôle de magie… »

Cela n’était pas donné à grand monde de discerner les familiers et Plume se sentit à la fois surprise et émue. Elle grogna d’extase, se changea en aigle et se posta sur l’épaule de Drags.

« Quelqu’un a été plus rapide à trouver votre… fille. »

Bien qu’il ne montra rien, un éclair perplexe traversa l’impassibilité naturelle de l’elfe. Drags pointa du doigt son nez :  » Vous avez la même odeur.  »

Il jeta la photographie sur la table et ajouta :  » Le paternel au sang pur laisse sa fille jouer avec la misère des bas quartiers ?  »

Toujours impassible, le client contempla l’image de la jeune fille souriante.

 

« Votre père ou votre mère ? »

« Pardon ? »

« L’Orque monsieur Draks, votre père ou votre mère ? »

 

Drags s’attendait à cette question. Ses faits d’armes et ses capacités ne changeaient rien aux regards des purs. Là, dans les tréfonds d’une ville à l’agonie, il pouvait oublier un instant sa condition de demi, mais passé la frontière tout la lui ramenait. Alors quand un habitant de la grande ville vient à lui… Il sourit de ses plus belles canines.

« Ma mère. »

« Une Chamane si l’on en croit vos talents. »

« Certaines choses vous collent à la peau, répondit Drags en désignant son visage. »

« Ne vous méprenez pas, j’avais de l’affection pour ma fille. Mais si elle partageait avec moi une grande intelligence, elle avait aussi hérité de sa mère une certaine… fougue. »

« Ça ne doit pas être bien vu de l’autre côté, de s’acoquiner avec une Succube. »

 

L’elfe se dérida un instant et place dans un sourire : « Une erreur de jeunesse. »

Drags eut un rictus. Impossible de dire depuis combien de temps ils durent ceux-là. Son client avait peut-être même connu la Grande Guerre.

 » Vous savez qui s’en est pris à elle ? « 

 

L’odeur putride revint au chaman comme un coup en dessous de la ceinture. Un souvenir qu’on n’oublie pas.

« Tout laisse à croire que votre Zara s’est acoquinée avec les morts. Il y avait une odeur pestilencelle que je n’avais pas senti depuis longtemps. Un mort-vivant sans tech, à l’ancienne, à l’air. C’est rare. Il avait un compte à régler et vous les connaissez… Ils n’ont rien à perdre. Drôle de fin pour la batarde d’Halbahort Perlebruine. »

L’elfe termina sa bière et ne réagit pas à son nom. Après tout, il était risible de vouloir passer inaperçu lorsque l’on était un Perlebruine. Des pads aux plasmas, PB-Technologie se répandait dans chaque foyer, ayant des produits pour chaque usage.

En désignant le talisman, Halbahort nota :

 » Vous êtes donc passé au plan B. Puis-je ? »

« C’était le contrat : Ramener la fille, d’une façon ou d’une autre. »

 

Drags saisit la grappe de pierres. En décrocha une et la tendit à l’elfe.

 » Qu’est-ce que vous allez en faire ? « 

            Halbahort ne répondit pas et pianota sur son Pad. Il glissa la pierre dans sa poche, se leva et ajouta : « Je vous ai ajouté 5 000 silves, pour votre discrétion. »

Au moment où l’elfe quitta les lieux, les différentes rangées autour de Drags se levèrent aussi et les âmes aux airs éméchés prirent l’apparence ferme et froide des hommes de main. « Bien sûr » Drags retourna au bar et cria :  » Sors le Brise-Troll Gralmar, j’paye ma tournée.  »

 

En sortant du bar quelques heures plus tard, Drags avait les idées embrouillées et la bourse allégée. Il repensait à Zara. A son sort. Drôle de destin que celui d’un Demi. Aurait-elle été à sa place de l’autre côté de la muraille ? Son père aimant aurait-il pu la protéger de cette fin ? Impossible à dire.

En pissant dans une ruelle, tandis que Plume guettait, Drags pensait à ce mélange de rancœur, d’ambition, de débrouille et de chance qui formait sa vie. Sur le fil toujours. Pas pire qu’une autre. Mais bon, jamais vraiment à sa place. L’art est de trouver l’équilibre.

Et puis… Cette odeur qui revenait sans cesse. Si fétide qu’elle vous colle à la peau. Elle revenait comme s’il y était encore. Ah moins que…

Plume hurla et en un instant Drags se baissa. La lame le frôla. A l’endroit où se trouvait son cou une seconde plus tôt, une bande carbonisée s’éprenait du mur. Il se retourna et tira d’un coup de plasma en plein cœur. L’assaillant ne bougea pas. Leva la main, et l’abatit. Mais Drags lui saisit les poignets.

Voici donc la dernière chose qu’à vu Zara. Un drap vieilli servait de cache un œil à un visage vieilli et l’on pouvait distinguer dans le globe visible un zeste de haine ou de mélancolie. La mâchoire serrée et sans peau laissait apparaître des dents éparses. La peau s’était figée dans un état de décomposition avancée. « Connards de MV ».

D’un bond, Plume lui mordit le bras, laissant une chance à Drags de fuir. En titubant entre les ruelles, il lui fallait trouver un moyen d’éviter le combat rapproché. Il vit Plume le dépasser en chouette et lui hua d’accélérer. L’odeur se rapprochait, vite. Le chaman sorti une poudre de sa sacoche, il hurla « Brievark » et la poudre s’enflamma. Un moment de répit. Il en profita pour sauter sur une échelle de secours et de grimper jusqu’au toit. En bas, le mort traversa les flammes, ajoutant un nouveau fumet parfumé à sa purulence. En quelques mouvements aériens, il rejoignit le toit.

Sa lame enflammée éclairait la nuit. Les lumières de la ville ne montaient pas si haut. Le monstre semblait guetter le moindre son. D’un coup, il frappa un carton. Deux rats noirs en déguerpirent. Il avança un peu plus, attentif. Un trait lui frôla l’oreille. Il se retourna et rata de nouveau. En face de lui, Plume le narguait. Deux coups de feu. Le premier vint lui désosser le fémur, le deuxième lui décrocha la main et fit lâcher sa lame. Drags sortit de l’ombre : « Salut l’affreux ! »

 

Drags le tenait en joue, son châle remonté.

« Hé bah mon gars t’en a une belle trogne ! T’as quelques centaines d’années de retard sur le ravalement de façade. Tu sais que pour les gars comme toi, se faire cybertiser c’est aussi protéger les autres de ce, (Drags pointa son nez), désagrément. »

Rapidement, le chaman frappa du pied sur une forme obscure proche de l’épée qui se fracassa contre une cheminée. La main du mort retomba, sonnée.

« Habile mais non, je te garde ça. »

Il saisit la lame, un modèle de guerre. Auto-inflammable. On en faisait plus des comme ça. Aujourd’hui tout était question de laser ou de plasma. Ce gars-là aimait le travail à l’ancienne.

« Alors beau-gosse raconte-moi ton histoire. »

 

Le mort, qui jusque-là avait gardé le silence, scrutant le demi avec le même œil mélancolique, fit siffler entre ces dents une voix bien plus vigoureuse que son apparence laissait présager.

« La fille, rend-là moi. »

« Impossible mon pote, tu l’as tué. »

« Son âme, rend-là moi. »

 

Drags eut une sensation d’horreur en imaginant que cet être l’avait observé lors de sa mission. Il n’avait rien senti. Ou alors trop. S’il l’avait voulu, à ce moment, il aurait été à sa merci.

« Trop tard. Quelques milliers de Silves trop tard. Qu’est-ce qu’un tombeur comme toi a à lorgner sur une demie de la haute ? Désolé de te vexer mais son âme n’est pas à ta portée, mais je connais un bar ou même un gars comme toi pourrait trouver de quoi passer la nuit. Enfin, après un bain. »

L’être ne dit rien pendant un long moment. Son silence avait une aura de tristesse.

« Qui ? »

« Secret défense. »

« Perlebruine ? »

Intéressant. Il avait donc saisi son secret.

« Qu’est-ce que tu sais des Perlebruines ? »

« Qu’est-ce que tu sais toi, orque ? »

« Demi-orque, pour l’humour et la boisson. Comme tous les gars du coin je sais qu’il s’agit d’une des familles les plus riches, que leur boîte a investi dans la Tech et qu’ils développent tous ces pads, cette arme et ses speeders qui m’empêchent de dormir. La lignée date au moins de la Grande-Guerre. Et je me dis que si tu les as en grippe, je comprends pourquoi ton apparence est aussi… Naturelle ? »

 

Plume en louve, maintenait la main du mort-vivant dans sa bouche et sa jambe entre ses pattes. Le mort ne semblait pas s’en soucier.

 

« Vous-autres les mourants, vous ne savez pas ce que c’est. Vous mangez, baisez, buvez et le lendemain vous recommencez. Vous sentez, vous rallez, vous espérez. Depuis la fin de la guerre, depuis la défaite de notre camp, vous vous battez pour trouver une unité. Vous vous mélanger. Tu en es l’exemple. »

« Un bel exemple. »

« Vous trouvez le temps de le faire pour perdurer. Mais pour les miens, ça ne sert à rien. Nous sommes les grands perdants de la Guerre. Immortels dans un corps de chair. Parqués dans les souterrains. Autorisés à sortir que si remplacé par une armure de métal. Décharnés de tout ce qu’il reste de nous. »

« Tu sais le prix que ça coute ces implantations ? Certains devraient bosser plusieurs vies pour se payer ses équipements. Et vous l’avez gratos. »

« Vraiment ? »

« Intérêt général, ajouta Drags en bougeant ses narines. »

« Tout a un prix, le demi. Tu crois vraiment à toute cette mascarade sur les cybers ? Une amélioration pour ceux qui n’ont plus rien ? Tu as déjà parlé avec l’un d’eux ? Avec l’un d’entre nous ? »

« C’est que je n’ai pas vraiment l’occasion d’aller en ville. »

« Ces siècles sans saveur. Sans goût, sans fin, sans mort. Tout ce temps, nous avons dû, parqués, pour pouvoir le supporter, nous forger une dignité. Créer, avec les nôtres, un semblant de famille. Vivre éternellement oui. Mais vivre ensemble. Et puis vint la PB-Tech et ses promesses. Pouvoir de nouveau sortir. Voyager. Revoir l’éclat de la lune. Du soleil. »

« C’était trop beau. Tu sais combien de temps vit un elfe ? »

« Ça se compte en milliers d’années. »

« Et un homme ? »

« En dizaines de milliers. »

« Tu sais de quoi les mourants ont le plus peur ? »

« Laisse-moi deviner… »

« Les êtres qui nous ont ramenés ont tous été exterminés lors de l’Assaut. Nous laissant sans objectif et sans répit. Maudit jusqu’à la fin. Une armée invincible. Regarde. »

Sur sa poitrine, à l’emplacement du coup de plasma, le trou s’était refermé.

 » Condamnés à rester les mêmes qu’à l’heure des morts des mages noirs. Et qui ne voudrait pas d’une de ces vies éternelles sans, il regarda sa chair pourrie, ces inconvénients ? »

« Les mages n’ont pas laissé une sorte de notice ou… ? »

« Ceux qui ont eu l’espoir de les croire se sont fait avoir. La nouvelle s’est vite répandue chez nous. Leurs améliorations sont des tests. Des tests pour atteindre ce que chacun de ces bien-portants peut espérer. Une vie, notre vie. »

« Ils trouvent donc une façon de vous tuer ? »

« De nous vider. La mort n’est pas pour nous. Ces cybers ? Des toutous bien réglés, dressés. Certains gardent leur esprit, d’autres le perdent. Malgré les souffrances et les tests, ils sont toujours là. »

« Et Zara ? »

« La séductrice ? Elle a su nous tromper. A moitié Succube elle savait faire. Elle nous a amadoués pour les projets de son père. Des promesses de libertés, Larco Ocron lui faisait confiance. Il a découvert ce qu’elle cachait. Tu connais la suite. »

« Le candidat ? Plus de plasma sur son corps quand dans mon flingue. C’était donc une affaire personnelle. »

« Zara m’a… tout pris. »

 

Un long silence s’installa entre eux, un de ceux qu’on a du mal à couper. Quand la pression fut trop longue, Drags demanda :

 

« Pourquoi récupérer son âme ? Elle ne peut plus vous nuire maintenant. »

« Un père qui travaille à forger des immortels ? Qu’est ce qu’il pourrait bien faire de son âme ? »

« Merde. »

Le mort s’esclaffa, la première fois. Drags était perplexe. Plume avait cessé de grogner. L’esprit regarda le chaman. Il hocha la tête. Plume desserra les crocs et s’écarta. Drags baissa son arme. Doucement, la main meurtrie se rattacha au corps putride. Le mort saisit sa jambe et la replaça.

 » Et maintenant ? »

« Drags, se présenta le chaman. Et toi ? »

« On m’appelait Nisam, il regarda vers Plume, l’esprit ? »

« Ahah ni tout à fait mort ni tout à fait vivant, comme toi. Elle s’appelle Plume. »

« Vous ne m’arrêtez pas ? »

« Je ne les sens pas trop les elfes, j’ai un passif avec eux. »

« Vous savez ce que je vais faire ? »

« Et tu vas avoir besoin d’aide, Drags lui lança l’épée, jolie lame. »

« Une vieille amie. »

« Après ça, tu vas te calmer sur les tueries ? »

 

Prendre corps dans l’horizon d’autrui,

Mort et nuit se confondent à peine,

Sursis d’espoir entre deux vagues pleines,

Je crierai ton nom, Accalmie.

 

  • Quoi ?
  • Rien, allons y. »

Gautier Veret 09/04/2020

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