Duel(s)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un mot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un mot et je gagne ce duel avec moi-même. Un seul pour narguer la page blanche et pour lui dire que ses démons ne m’auront pas ce soir. Oui vous, Doute et Malice qui remuez en supplice. Vous ne dévorerez pas mon art. Vous verrez, vous verrez bien tout commence par un mot.

Allez c’est pourtant simple, un mot. Tu en as laissé échapper par milliers. Acteurs de tendresses, souvent de maladresses. Ce sont de bons amis les mots. Ils vous escortent sur les rivages du rêve. Ce sont des maçons d’immatériels qui forgent le réel. Tu dois bien en avoir un sous la plume, des mots.

En face à face avec ma feuille j’hésite à dégainer le premier. Couverte d’immaculée j’entends son chant des possibles. Rien d’irrévocable. Leurs destins en trousseau, je vois se battre des personnages, y exposer leurs archives. Du tréfond de l’enfance s’invoquent des pirates. Car quoi de mieux, parbleu, qu’un duel sur la mer ? Une odeur de poudre à canon et la langueur de l’équateur. Sur l’océan, le blanc d’une lame est moins dangereuse qu’une absence de vent. Alors je caresse le stylo, prêt à partir en mer.

   Quel est ce son sourd et régulier ? A l’accueillir, on dirait le sabot de chevaux en furie. Je relève à peine le stylo que des chevaliers s’incarnent. Ils sont rutilants dans des armures trop lourdes. Au bout de leurs lances, un foulard de couleur. Qu’y a-t-il à défendre ? Qu’ont-ils à gagner ? La faveur d’un seigneur ou peut-être, un cœur ? Les chevaux sont presque à voler et les lances dressées. Là ! Ils vont se croiser et…

Le coup part. Il claque, l’écho du vent infame. Il réduit au silence les balbutiements du jour. Sous un vieux châtaignier sont postés deux jeunes âmes. Les bouches à feu ont jeté le plomb, ce messager funeste. Les dés sont jetés, les balles se croisent et c’est leurs destins qui dansent. Deux éclats pour d’infinies larmes d’une mère. L’un ira retrouver Terre et sous un parterre de fleurs, y brandira son honneur. Qu’ils sont nombreux ces habitants de la terre, ces statues immobiles sous leurs lauriers. Les corps chancellent, le nouveau terreau de fiertés arrive. L’astre s’étonne, le silence est lourd et…

Les lumières mettent l’ennemie en valeur. Dans son dos court la sueur mais l’esprit est ailleurs. Elle ne peut être arrivée si haut pour chuter maintenant. Il ne lui reste qu’une épreuve à franchir, qu’une rivale à écarter. L’autre est déjà sur scène à chalouper ses mains sur des touches blanches et noires. L’adversaire n’est pas imbattable. Elle le sent dans le bout de ses doigts, ce feu qui brule en elle. Le jury le sentira aussi. C’est à elle. Elle s’avance. Se positionne. Ces articulations frétillent et c’est le grand saut. La musique est céleste, elle est pareil à…

Une tâche de vin sur son haut. Oui c’est ridicule. Quand il est énervé il ne se contrôle pas. Il a beau rugir et froncer les sourcils, il ne m’impressionne plus. Je sais que je suis dans mon droit. Pourquoi veut-il absolument avoir toujours raison ? Sa mauvaise foi n’a pas de place ici. Il s’agit de mon fils aussi. Ah ! Son regard est soudainement moins vif, sa voix moins sûre. C’est une ouverture, je vais…

Prendre sa tour avec mon fou ! Alors ça ne lui laissera… Hum… Il peut encore bouger son pion en… Non. Si ? Est-ce qu’il pourrait sacrifier sa dame comme ça ? Il faudrait alors que je…

Fasse un pas de plus. Le sommet n’est plus si loin. Cela fait plusieurs kilomètres que mon corps est ailleurs. C’est autre chose qui meut mes membres. Une folie légère surement. Cette promesse intérieure. Tu ne m’auras pas, montagne. Tu lances sur moi de doux sévices mais rien d’insurmontable. Je t’ai connu plus froide. Tu m’accueilles dans ton monde. Dans le blanc de ton tableau, chaque pas est le premier des hommes. Dans ton blanc purifié, chacun de mes pas est…

 

 

 

 

 

 

 

 

Un mot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gautier Veret

19/04/2021

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