Nuages : écriture automatique

Les anciens racontent qu’avant, nous marchions sur la Terre. Il y avait de quoi rigoler. Moi en tout cas, je l’ai fait. Je pensais que ça n’était qu’un conte qu’on racontait aux enfants. Après tout, lorsqu’on regarde en bas, on n’en voit pas, de terre. Avec Tara et Micène on allait parfois jouer au bout des cirrus. On jouait souvent aux oiseaux. Quand on était fatigué, on laissait tomber nos jambes et on regardait la mer. Elle semblait infinie, la mer. Et elle faisait aussi peur qu’elle était belle. Car si on tombait, c’était la fin. A cette époque nous ne savions pas vraiment ce que ça voulait dire « la fin ». Mais nos parents en parlaient avec un air grave et sévère comme quand on avait volé des morceaux de cumulus pour en faire une cabane. Enfin non, avec un air plus grave encore. Car après tout, ils nous avaient laissé la cabane. Tous les trois on passait beaucoup de temps ensemble à regarder en bas. On essayait de voir un bout de cette Terre dont on nous parlait tant mais on voyait rien. Enfin surtout Micène et moi. Tara elle attendait le retour de son père.

Il était aviateur son père. Il s’appelait Jan et son avion avait des propulseurs sur les côtés. Je me souviens qu’il était grand et qu’il avait une veste en cuir. Je crois que ça s’appelait comme ça mais j’en suis pas sûr. Je l’aimais bien sa veste. Et avec Micène on l’aimait bien aussi Tara. Elle a toujours été belle, mais avant on l’voyait pas. Peut être que si elle avait été moins belle on aurait eu moins d’emmerdes. En tout cas c’était un jour comme tant d’autres. Micène et moi on voulait faire sourire Tara et puis lui plaire un peu. Alors j’lui ai dit : « Il a peut-être trouvé la Terre ton père, et il arrive pas à remonter. » Micène dit oui de la tête car c’est ce qu’on faisait quand l’autre disait un truc à Tara. Même si au fond on l’aimait bien tous les deux. « Quand je serai grand, je serai aviateur comme lui et j’irai le chercher. J’te le promets ! » Micène s’est levé alors et il a dit « Moi aussi ! » Car c’est ce qu’on faisait quand l’autre décidait un truc stupide. Et le pire c’est qu’on l’a fait.

 

« Viggo, surtout fais attention à toi… » J’ai jamais été le plus intelligent des trois, c’était plutôt Micène. Mais j’avais rapidement vu comment ils se regardaient, elle et lui. Alors je les avais laissés et j’étais parti dans mon coin. Quand même, ça faisait toujours plaisir quand elle pensait un peu à moi. Et j’avais bien compris ce qu’il se cachait dans cette phrase. Moi aussi je tiens à lui. C’est mon meilleur pote. Et aujourd’hui ça fait une semaine qu’il a disparu. Après son père et Micène elle avait sûrement peur de me perdre moi.  « J’irai le chercher. J’te le promets !» je lui ai répondu. Mais cette fois ça n’était pas seulement pour lui plaire que j’lui ai promis.

 

J’ai fait mon sac et je suis parti chercher mon avion au bout du nimbostratus. C’est là qu’on avait déménagé tous les trois. Enfin, eux ensemble et moi à côté, pas loin. Avec Micène on était encore dans nos années de pécheurs mais on voulait devenir explorateurs. On nous avait donné des vieilles carlingues qui volaient à peine mais pour pêcher ça faisait l’affaire. Le soir, après les rondes, on se posait les pieds dans le vide comme avant et on pensait à notre promesse. Ça faisait quelques semaines que le nuage bouillonnait, un explorateur avait repéré une tâche, sous un large cumulonimbus. On lui avait demandé si c’était pas son ombre ou une baleine. Non qu’il disait, il avait jamais rien vu de pareil. Après on avait des doutes car il était assez porté sur le vin de Stratus. Mais avec Micène on s’était dit que c’était le moment. J’avais quelques problèmes à manier mon appareil. Je m’étais blessé lors à la main lors d’une manœuvre et Micène le savait. C’est sûrement pour ça qu’il est parti sans rien dire. Et puis lui il pensait aussi à Tara. Le soir en attendant, en attendant son retour, je lui en voulais un peu.

 

Je suis donc allé chercher mon avion. Le chef des pêcheurs, Ygou, m’avait un peu l’œil depuis le départ de Micène. Déjà parce qu’il nous connaissait bien et nous appelait les cerbères. Même si je crois que dans l’histoire ils étaient trois alors nous on rajoutait Tara mais on le disait pas à Ygou. Il avait peur de perdre un autre engin. Tu m’étonnes vu comme ils sont rares. Et tu m’étonnes que j’allais partir chercher mon pote. Ygou le savait aussi. C’était pas une question de « si » mais de « quand ». Alors il m’avait mis un vieux en escorte. Brandon que tout le monde appelait Brandy. Un chic type. Il fallait que je le sème.

 

On est parti en direction du coin de pêche, vers le sud. Le vent me battait de plein fouet et ma main me faisait mal. Mais j’ai rien dit et Brandy a rien perçu au micro. On approchait du réservoir et je devais la jouer fine. J’ai ralenti un peu et B est passé le premier. En se rapprochant de la surface, il a activé son crochet qui frôlait l’eau. Clac ! Il a saisi un gros filet bien rempli pour la colonie. Je suis passé après lui et j’ai sorti mon crochet. L’appareil tanguait un peu mais j’avais l’habitude. Clac ! Et on est reparti les avions lourds d’un gros sac qui pendait. De quoi manger quelques semaines.

 

On devait déposer les filets sur un cumulus avant de s’poser sur le nimbo. C’est ce qu’a fait Brandy. Heureusement j’étais derrière lui. J’ai décroché le sac mais je me suis pas posé. J’ai filé vers le noir, j’ai volé vers Micène. Je voyais Ygou sautiller sur le nuage, il devait être vert. Au micro j’ai entendu B qui me disait : « Bonne chance petit. » Un chic type je disais.

 

J’ai filé quelques heures en ligne droite. Je ne pense pas avoir jamais volé aussi longtemps. Il y avait quelque chose de grisant à suivre ainsi la mer. Elle était après tout, comme un gros nuage bleu. Le soleil descendait un peu et j’espérais trouver le cumulonimbus et la tâche avant qu’il se couche. Je ne pensais même pas à comment rentrer ou si j’allais avoir assez de carburant. Je pensais à retrouver mon pote.

Puis les nuages autour de moi sont devenus noir. J’aime pas quand ils font ça. Normalement on est au-dessus et ça me dérange pas. Ça chatouille un peu. Mais quand je vole c’est une autre histoire. Si je remonte trop je risque de rater Micène. Alors je reste en dessous et j’me prends l’averse. Elle dure longtemps et je sens que l’avion se rempli d’eau. Alors moi je commence à avoir un peu peur de pas tenir ma promesse. Mon engin pique du nez et j’essaye de toute mes forces de me redresser. Ma main me fait un de ces mal !

Puis il apparait. Là devant moi. Le plus gros nuage que j’ai jamais vu. Il monte tellement haut qu’on le dirait aussi infini que la mer. Mais je peux pas être surpris, mon avion est en chute libre. Alors je tire et tire pour le redresser en guettant la tâche. Là juste en-dessous ! « Encore un p’tit effort » j’me dis ! Je m’approche, m’approche et…

 

BOOOOOM

 

Je sais pas combien de temps je suis resté dans la brume. Mais quand je me suis réveillé la pluie s’était arrêté et c’était de nouveau le matin. Enfin je crois, le gros cumulonimbus était au-dessus de ma tête et cachait un peu du soleil. J’ai mis quelques minutes avant de comprendre que les nuages étaient au-dessus de ma tête. Alors j’ai regardé en bas et j’ai vu quelque chose qui ressemblait pas à de la mer. C’était vert et marron comme la veste du père de Tara. C’était dur. J’ai mis ma main dedans et c’était froid, et chaud aussi. Des morceaux marrons me restaient sur les doigts. C’était donc ça la terre. A ma droite, mon coucou avait déjà eu meilleure mine. Il fumait ces dernières flammes et du noir montait jusqu’aux nuages. J’ai essayé de récupérer un bout de ma veste mais c’était trop chaud. Tant pis.

 

Alors je me suis mis à marcher. J’aurai vraiment aimé que Micène voit ça. D’un côté de l’eau et paf, la fin. La Terre. J’ai longé la côte et regardant le soleil faire des dessins sur les nuages. D’ici ils semblent si petits. Au bout d’un long moment j’ai commencé à voir quelques choses au loin. Une ombre qui dépassait un peu. Alors je me suis approché et j’ai vu une vieille carlingue ! Vrai de vrai ! Je me disais « Je l’ai retrouvé ! » et j’avais pas tort. Sur le côté de l’appareil était dessiné un cerbère, le célèbre chat à trois têtes ! Mais pas de Micène. Sur le sol il y avait des marques. On aurait dit des formes de pieds. Alors je les ai suivis. Au bout de celles-ci, il y avait un homme qui essayait de pêcher avec un morceau d’hélice. Il était un peu maigre.

« Moi qui pensais être un meilleur pilote que toi ! » j’lui dis. Il se retourne et il se met à rire. Alors moi aussi. Car c’est ce qu’on fait quand l’autre dit un truc stupide. On est heureux d’être là alors on se serre dans les bras. On parle un peu. Il a l’air affamé alors je prends une hélice et je l’aide à pêcher. On finit par percer un gros poisson. On finit par se taire en mangeant. Micène regarde les nuages et me dit qu’il veut rentrer. Alors je lève la tête. Avec ce gros cumulus je ne sais même plus où est le nord. Mais je regarde mon pote et je vois qu’il pense à Tara, je le connais quand il est comme ça. Je regarde les restes de son engin. Il y peut-être quelque chose à faire. Alors je fini ma bouchée et je lui dis : « On trouvera un moyen de rentrer, j’te le promets ! » Et le pire, c’est qu’on l’a fait.

 

 

 

Gautier Veret 01/12/2020

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