Louve

L’obscurité battait les clapotements des vagues d’une crainte nouvelle pour ceux qui, tels les marins du Protecteur, s’évertuaient à distinguer la rive. Des regards tremblants se croisaient sur le pont et quelques chapelets préservaient les esprits, quelques verres aussi. Depuis la dunette, une fine silhouette de jeune femme scrutait la terre. Armée d’une longue-vue, son regard balayait les côtes, devinant les contours dans l’attente d’un signal. Les boucles de sa chevelure vacillaient au vent tel un drapeau auburn. Elle avait un air trop grave pour son âge, vingt ans à peine. Soudain, elle sembla remarquer quelque chose approcher. Lorsqu’elle abaissa son scope, un œil averti et habitué à la nuit eut pu distinguer les restes de sillons profonds gravant sa peau blanche. Quatre traits le long de sa joue. Quatre marques de son acharnement à vivre, lui assurant à jamais l’autorité d’une survivante de la Grande Attaque.

En descendant sur le gaillard, elle adressa à un jeune mousse : « Va préparer l’échelle ». Le jeune garçon faillit faire tomber son seau d’eau, surpris dans sa rêverie. « Tout de suite mad… Lieutenant ! » Il cacha comme il put un sursaut de terreur à la vue de la balafre, à laquelle il n’arrivait pas à s’habituer. La jeune femme ne s’indignait plus de ces réactions, communes à présent. Elle savait bien de quoi elle avait l’air. Elle ne put s’empêcher de noter son jeune âge. S’il n’était pas né sur l’île, il devait être trop jeune pour se souvenir de l’attaque. Il ignorait tout de l’horreur qui occupait ces terres. Tous les iliens se trouvaient bercés d’histoires, celles du coin du feu ou celles du fond d’un vin. Les marins en avaient de nombreuses, des histoires. Edmée Larché portait la sienne dans quatre marques de chair.

Une barque se fraya un chemin d’écumes dans l’eau noire jusqu’à s’amarrer à couple. L’échelle s’anima et l’instant d’après, un tricorne suivit d’une barbe blanche apparurent. Maurice Philippe Larché, oncle paternel de la jeune Edmée, avait la carrure des hommes qui font l’histoire. Ses faits d’armes durant la guerre de Sept ans lui valurent le respect de ses hommes et de la famille Bourbon. Dans ces heures sombres, le respect s’était changé en admiration. En vénération. Pour Edmée il en était d’autant plus vrai qu’il était tout ce qui lui restait. Sa seule famille. « Commandant » lui fit elle. Il ne répondit pas. Il passa devant elle, se dirigeant mécaniquement vers sa cabine. Edmée resta bouche bée. Non pas de l’attitude froide de son oncle, mais d’une angoisse pire encore. Dans le fond de son regard, elle avait pu y voir le même désespoir que ses hommes.

 

Edmée le retrouva dans sa cabine, le visage dur et l’attention toute portée à la lecture d’une missive. En l’entendant arriver, il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire mais le chassa très vite. L’heure portait un manteau de gravité. La jeune femme, soucieuse, attendait qu’il prenne la parole.

« Nous avons perdu les équipages du Zélé et du Royal Louis. Nos flottes et la République de Corse ont mené une bataille décisive pour récupérer le port de Marseille. Nous espérons tenir la ville suffisamment longtemps pour restaurer quelques navires. Peut-être entamer la reconquête du Sud. En Espagne, une tempête a ravagé trois navires avant l’assaut de la Corogne. Aucune nouvelle des émissaires anglais depuis l’échec de Londres. Pourtant… »

Il agita la lettre dans sa main et la jeta sur son bureau. Edmée récupéra le papier et lu pour elle. Un frisson d’excitation lui parcourra le corps. Dans ses plaies anciennes, tonnait son cœur.

« Alors, nous y accostons ? L’Amiral a enfin donné l’ordre ? »

« Le duc de Penthièvre espère par un assaut commun et ciblé, récupérer quelques bouts de terre. Nous avons bien vu ce que cela a donné à Bordeaux. »

« Mais aujourd’hui c’est notre terre ! »

Edmée avait haussé la voie, presque galvanisée. Un moment qu’elle attendait depuis longtemps. Presque dix ans.  Son oncle se tenait à présent debout, face à la mer, essayant à travers le vitrage de ressentir le calme d’une nuit sans lune. Il savait que ce moment arriverait. Depuis qu’il l’avait sauvé sur le port, jamais la flamme dans son regard ne s’était tarie. Jamais le masque de la vengeance n’avait été ôté. Il avait pris le rôle du père mais n’avait pu atténuer sa colère. Elevée loin de la pauvreté des réfugiés et de la colère des iliens, Maurice Philippe Larché lui avait offert tout ce qu’il avait pu. Mais il ne s’était pas opposé au chemin de haine qu’elle semblait prendre car, au fond de son âme, il savait bien qu’ils avaient ce venin en commun.

« Nous attaquerons la presqu’île demain avec l’équipage du Fantasque. Il devrait nous rejoindre à l’aube et sera chargé de faire un barrage sur le brin de terre. L’isolant du reste du continent. Nous pourrons établir un campement. Aucune de ces bêtes n’a été aperçu depuis un mois. Avant d’établir un campement nous… »

« Nous devrons chasser. »

L’œil toujours à la nuit, le Commandant sentait derrière lui un feu bruler.

 

Les images ricochaient entre elles. Les mêmes chaque nuit. Des flammes qui montaient nourrir les nuages. La teinte glacée d’un crépuscule accueillant des cris indécis. La panique. Papa était encore au village. Celui en flamme. Maman qui tirait la main, Paul dans les bras. Des villageois qui couraient. Une foule vers le port. « Les bêtes d’Auvergne ! ». « Poussez-vous manants ! ». « A l’aide ! ». Des larmes qui coulaient sur des joues blanches. Et maman qui tirait. Les canons levés tiraient aussi. Des villageois tombaient. « L’accès au port est limité, veuillez… » Une pierre sur le soldat, un tir encore. Maman criait : « Edmée, prend ton frère et allez chercher votre oncle ! » Maman poussait, un soldait tirait, maman tombait. Courir vite, oublier les pleurs. « Arrêtez-les ! » « Mais lieutenant ce sont des enfants ! » Courir encore, mais Paul trainait. Un cri. « Elles sont là ! ».

La première bête sauta et écrasa trois hommes. La deuxième en enferma dans ses crocs deux autres. Au chant des canons aucune ne répondait. Les soldats commençaient à fuir. La première, en quelques foulées, les dépassa et griffa un tas d’hommes. Paul était tombé. Le protéger. Des pleurs. La deuxième bondit au-dessus d’eux. Il fallait atteindre le port. Fuir les cris des hommes. Courir vite et se cacher. Passer entre les corps, vite.

Le ponton, enfin. Un bateau qui s’en va. Vite Paul. Ses pleurs. Se retourner. La troisième bête.

Un saut. Plus de pleur. Plus de… Tomber. « EDMEE SAUTE ». La voix de l’oncle.

Se lever. Courir. Paul. Se retourner. Des yeux. Gros. Ronds. Rouges. La griffe. Le sang. La chute. L’eau. Se noyer.

Le noir.

 

Edmée se réveilla d’un bond, le souffle court. D’instinct, sa main vint se greffer à sa joue. La blessure battait aussi vite que son cœur. Presque dix ans et pourtant les rêves ne la trahissaient jamais. Toujours cette meute, toujours ces bêtes. D’abord une rumeur qui était montée d’Auvergne, un monstre s’était attaqué à la région et terrorisait la population. La fièvre du pays entier fasciné par cette affaire, par sa chasse. Puis d’étranges nouvelles, la bête n’était pas seule, une meute invincible qui décimait des villes entières. Partir sur les routes, loin alors que la confusion prenait le pays. Partir pour rejoindre son oncle. Aujourd’hui était venu et avec lui l’heure du retour. La jeune femme s’habilla en hâte, la sueur au front. Elle récupéra son épée près de son lit, un pistolet à carrosse sur son bureau et son tricorne. Avant de quitter sa cabine et pour la première fois depuis des années, Edmée s’arrêta au reflet du miroir. Elle n’avait plus peur.

Les hommes du pont portaient la pâleur des sacrifiés, du moins ceux qui avaient été tirés au sort pour accoster. Les autres ne pouvaient retenir une moue témoignant leur soulagement. Ils devraient s’occuper des canons et tirer à vue sur les bêtes. Tous attendaient en silence un signe du Fantasque, ignorant tout de l’étreinte du crachin et du froid. Des rumeurs circulaient, s’échangeaient dans l’attente. Les éclaireurs n’avaient vu aucun de ces monstres le long des côtes. Peut-être avaient-ils quitté la presqu’île, peut-être qu’une fois les barrières et les piques érigées seront-ils en sécurité, peut-être n’auront-ils pas à se battre. Tandis que ces idées folles berçaient les marins, le Fantasque, au loin, laissa échapper sur les eaux quelques canots. L’histoire était en marche, portée par quelques hommes flottants sur du bois pourri.

A la vue de cette manœuvre, le Commandant Larché lança quelques ordres, entrainant des corps à se bousculer dans les derniers rafiots, chargés de fusils et des restes de munitions. Ils n’étaient qu’à deux ou trois encablures de la côte et pourtant, c’était comme s’ils devaient franchir un mur de brume et de souvenirs, une vallée de terreur. On ne savait plus si les marins-soldats tremblaient de peur ou de froid mais l’on pouvait distinguer alors que les coups de rames entamaient la distance, une figure de proue stoïque, l’arme à la main.

Du pont du Protecteur, le commandant contemplait ainsi l’ombre de sa nièce s’amincir en saccades. Bien que son cœur hurlât le contraire, sa raison d’homme lui soufflait qu’il n’aurait pu la retenir plus longtemps en mer. Son sort n’était pas de s’éteindre comme lui dans l’océan, mais bien d’harponner son destin et d’écrire sa légende, aussi courte puisse-t-elle être. A cette pensée, il abaissa légèrement son tricorne l’air grave, se retourna et ordonna la préparation des canons.

 

Trois hommes tiraient la barque à terre. Ils avaient choisi un lieu dégagé pour accoster, afin de ne pas être surpris dans leur préparation. A leur gauche, ils pouvaient voir disparaître un canot derrière une falaise, à leur droite et à juste quelques mètres, un autre atteignait à son tour la rive. Edmée s’était éloignée avec la malle de munition et commençait la distribution à ses hommes.

La stratégie était simple. Les premiers débarqués, les hommes du Fantasque, s’attelaient déjà à ériger un bastion coupant la presqu’île du continent, à limer des piques de bois et assurer la sécurité des ouvriers. Les équipes du Protecteur se chargeraient, avançant par petits groupes, d’effectuer une battue sur l’île et de traquer toute trace des monstres. S’ils se faisaient submerger, ils avaient ordre de revenir sur les côtes et la flotte laisserait parler les canons. Une fois ce danger écarté, cette terre serait la source d’une reconquête possible du territoire, une terre d’espoir.

 

 

Dix années sans toucher ces rives. Cette idée flottait comme un mirage tandis que l’escouade se mit en marche. Rattrapée très vite par l’ombre d’un souvenir, celui de ces masses immenses et sombres qui les avaient chassés. L’arme haute, chacun guettait un signe de ces monstres. Edmée avançait d’un pas rapide, plusieurs fois, elle dut ralentir la cadence pour ne pas s’éloigner du groupe.

En quelques minutes, ils atteignirent ce qu’il restait d’un village. Un panneau de bois noirci à l’entrée le rendait anonyme. Quelques restes de pierre tenaient bon. La végétation s’affirmait par endroit, comme pour masquer les meurtrissures d’un drame. Çà et là, Edmée distinguait quelques ossements de ceux qui l’avaient habité. Hommes, femmes, enfants, chevaux, porcs. Qui aurait pu aujourd’hui les distinguer ?

Soudain, Edmée huma un vent ignoble. Une odeur de tripes et de mort. Au centre du village gisait une carcasse, celui d’une biche. Le corps était partiellement dévoré, abandonné aux mouches et aux vers. Des traces de sang s’étalaient devant le cervidé. Edmée contourna la mare rouge en s’approcha d’une trace. Celle d’une patte. Elle faisait la taille d’un buste d’homme. Un frisson glacial parcourra les membres de l’équipe, mais pas la jeune fille. Les traces pointaient en direction de la forêt, à leur droite. Elle sentait tous ses sens à l’affut, portés par la traque.

 

 

Un coup de feu, comme une masse qui frappe l’acier, puis un autre. Au-dessus des arbres des oiseaux s’envolèrent. L’une des équipes était attaquée. Edmée se mit à courir, ses pas légers glissant sur le sol. Elle dépassa la lisière de la forêt, guidée par les bruits d’artillerie, jusqu’à entendre des cris.

Devant elle, le monstre. Un titan noir à fourrure. Ses jambes si agiles s’arrêtèrent. Edmée ne pouvait plus bouger. La forme sombre avait la taille de deux ours, et l’allure d’un loup. Des coups de tête rapide enfonçaient de larges dents dans la chair des hommes. Les balles la perforaient, mais elle ne les sentait pas. De son pelage sombre s’écharpait des flambées rouges. Elle était vive. Elle restait debout.

Il ne restait plus beaucoup d’hommes debout. Trois tout au plus. La chose balaya son bras comme un faucon fend l’air. Plus que deux. La jeune femme sentait venir en elle les images du ponton, de Paul. Le monstre, en tentant d’attraper un homme, déracina un arbre. Elle sentait la douleur sur sa joue, la haine dans son cœur. Le deuxième saut fut efficace et les dents tranchantes, il n’en restait plus qu’un. Edmée arma son fusil, visa et tira.

Il y eut un cri rauque et puissant. Elle l’avait touché au visage. Postée au-dessus du dernier survivant en train de trembler, la bête se retourna vers Edmée. Quelques giclées s’échappaient de la partie gauche de son visage, là où se trouvait son œil. Oubliant sa proie, elle se précipita vers la jeune fille. L’importance de ses blessures ralentissait le monstre. La jeune femme se retourna et courut de tout son souffle. Elle entendait des foulées rapides derrière elle. Puis plus rien. « Un saut ». Elle s’allongea d’un coup. Le monstre lui passa au-dessus du corps et se brisa contre un arbre. Edmée entendait des souffles et des gémissements. Elle entendait aussi des cris. Les membres de son escouade arrivaient enfin. Elle leur lança « FEU ! ». La bête s’était relevée et s’apprêtait à bondir. Une pluie de plombs vint s’abattre sur elle. Elle tomba sur le sol en grognant, déchirant la terre de ses griffes. La jeune femme dégaina son épée, s’approcha en évitant les ongles mortels. Elle lui asséna un coup de toute ses forces. Puis un autre. Puis encore. Elle ne s’arrêta plus. Des larmes coulaient le long de ses joues. Encore ! Encore !

Un de ses camarades lui saisit le bras. Elle tremblait de tout son corps. Une bête furieuse était morte. Edmée regarda ses mains couvertes de sang. Une nouvelle était née. Le soldat l’adossa contre un arbre. « Les restes de la première équipe sont un peu plus loin. Allez chercher ce qu’il reste d’armes et de munitions. » Quelques hommes restèrent autour du monstre pour le contempler, fascinés, terrifiés. Ils regardèrent ensuite la jeune femme, de la même façon.

 

 

L’équipe revint au bout d’une dizaine de minutes avec des fusils et un survivant. Son bras tremblait et ne semblait pas s’arrêter. En posant le regard sur la carcasse du monstre, il s’arrêta. Son visage passa de la panique à la haine. Il s’élança vers elle et la frappa « Ils sont tous… Morts ! » Personne n’essaya de l’arrêter. Tous comprenaient, à la pâleur de leurs amis, l’horreur du charnier. Il n’était pas ici question d’avoir perdu des hommes. Chacun d’entre eux représentait le reste d’un monde. A vivre ensemble les périples de la mer et à survivre, chacun d’entre eux étaient devenu frère. Des larmes coulèrent en silence.

Chacun avait fait le plan de munitions. On tendit un nouveau fusil à Edmée. Après avoir nettoyé sa lame, elle la rangea dans son fourreau. Le survivant de l’attaque s’approcha d’elle. « Lieutenant, je voulais simplement vous remer… ».

Le mot se figea comme s’il ne devait avoir de fin. Tous se retournèrent. Une forme noire s’était approchée du cadavre, bien plus grande, bien plus grosse. Du bout de son museau, elle tenta de soulever son égal, en vain. Elle se tourna sa face vers les hommes, leur imposant des yeux d’un rouge pourpre et des crocs de la taille d’un couteau. Les premiers coups de feu partirent. Le géant ne bougea pas.

« Nous allons mourir » pensa Edmée. Elle n’avait pas peur. Il fallait penser à la mission. Elle cria : « Tous à la rive ! Aux canons ! ». Elle se retourna. La bête bondit.

 

 

Le Commandant Larché perdait patience. Les coups de fusil se succédaient et sa longue vue guettait l’orée de la forêt. Ses hommes étaient en position, l’artillerie mirant la côte. Le bruit des tirs se rapprochait. Le Commandant serra les dents. « Edmée, mon enfant, par pitié… ». Une silhouette fine se détacha des arbres, bientôt suivit par cinq autres. En déplaçant son scope, Maurice Philippe Larché put reconnaitre sa nièce. Une douleur disparue de son cœur. « Enfin… ».

Puis le froid. L’hiver qui se loge dans l’âme. Brisant la lisière et le bois, une forme immense, visible à l’œil nu. Elle les rattrapait vite. Un cri se fit sentir dans le cœur du vieil homme. Il savait ce qu’il devait faire. Quels étaient les ordres. Il pointa une nouvelle fois la lunette sur sa nièce. Elle était d’une rapidité exemplaire. D’un signe du bras, comme si elle se sentait épiée, Edmée lui adjura de tirer.

« Commandant, la… la chose se rapproche des côtes Commandant ! »

La bête venait d’écraser l’un des hommes en fuite et de jeter ses restes en l’air à un hauteur incroyable. Tous les marins avaient contemplé la scène avec effroi et vu ce corps inconnu s’élever pour succomber.

« Commandant, quels sont vos ordres ? »

Edmée continuait de lui indiquer, par des gestes amples, de tirer. Du haut de sa dunette, Maurice Philippe Larché pouvait sentir son terrible regard le bruler.

« FEU ! »

 

 

Le tonnerre s’abattit sur la côte. La jeune femme ne pouvait s’arrêter de courir. Les yeux fermés au moment de la collision, elle espérait que cela serait rapide. Les coups étaient partis depuis un moment, ses jambes étaient toujours en mouvement, l’air marin était toujours aussi fort. Elle était en vie. La surprise lui fit perdre pied et elle s’échoua sur le sol. Derrière elle, des éruptions de poussière s’échappait de la terre. Là où devait se trouver ses compagnons, des particules et du silence. Edmée reprit son souffle. Un râle s’échappa de ce flou. La poussière commençait à retomber et elle pouvait à présent distinguer l’un de ses hommes ondulant au sol, cherchant de ses mains une jambe qu’il n’avait plus.

Elle s’approcha d’un pas. Des griffes s’enfoncèrent dans le torse de l’homme, le trainant en arrière. Elle se remit à courir.

La falaise n’était pas loin. Elle devait continuer encore un peu. Un éclair spontané retentit de nouveau et senti que les heurts bien plus lointains. Elle disposait d’un peu d’avance.

Arrivée au bord de la falaise, la jeune femme s’arrêta et se retourna. Devant, s’approchait la bête blessée. Elle ne tenait que sur trois pattes mais persévérait dans sa course, arrachant des morceaux de terre à chaque foulée. Derrière, l’océan et des rochers abruptes. Edmée se redressa. Son fusil était brisé. Elle le jeta au sol. Dégaina son épée, qu’elle plaça dans sa main gauche. De la droite, elle s’empara de son pistolet à carrosse. Elle visa. Le monstre approchait. Pas encore. Une rivière de sang s’envolait de ses crocs. Pas encore. Ses yeux étaient gros. Ronds. Rouge. Elle tira.

La balle s’enfonça dans la patte de la créature au moment de l’appui. Tout son corps s’affaissa en avant et glissa en direction de la jeune fille. En un instant, elle s’écarta, jeta son pistolet et serra des deux mains son épée. Au moment où le corps sombre passa devant elle, Edmée enfonça sa lame, la rayant de tout son long. La masse fendue alla s’échouer sur la roche érodée.

 

Au-dessus de toutes les têtes, une étoile à son zénith adressait ses louanges. Une douce chaleur venait s’éprendre des corps. La main encore serrée sur son arme, la jeune femme regardait en contrebas l’objet de ses cauchemars disparaitre, avalé par les flots. Elle avait réussi. Sur sa joue elle sentait un picotement ardant. Elle cria. De colère, de haine, de joie. Un peu de tout, elle cria. Du haut de la falaise, elle entendait la clameur des marins. Ils criaient.

Edmée Larché leva son épée, un éclat renvoya la lumière du soleil. En adressant un cri au vaisseau, au monde et aux hommes elle hurla. Elle n’aurait jamais plus peur. C’était elle la louve à présent.

 

Gautier Veret 17 juin 2020

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