Armez-vous donc, mes amis voyageurs

Armez-vous donc, mes amis voyageurs,
Qui me peigniez de trop tristes tableaux,
De pays et de villes vides de saveurs,
Vous, qui n’encensez que vos tombeaux.

Si mon rire vous sabre dans vos efforts grotesques,
Quand vous me parlez d’ailleurs, des trames de la terre,
De sculptures, de château, des plus petites arabesques,
C’est que du monde, vous n’êtes qu’à l’estuaire.

Partez, si vous le voulez affronter les collines,
Les marées et les flots assidûment déchaînés.
Les couteaux cinglant que le vent vous destine
Allez ! Chassez les épreuves des maîtres à conter !

Je parle sans outrance de ma voix endurcie,
Qui un jour, comme vous, partageait ses histoires
Nymphes triomphantes des rimes de la nuit,
Qui comblaient si bien qu’on soupirait d’y croire.

Ce jour là, mes amis, est parti
Moissonnant ainsi ma jeunesse,
Comme un prisme qui, sans bruit,
Se dissipe des mythes de l’ivresse.

Vous parlez j’en ai peur d’un monde extérieur,
Extérieur à celui qui raconte la vie.
D’un tout qui se brise et empli de terreur,
Sordide partenaire qui vous assujetti.

Laissez maintenant les images venir,
Qu’elles revigorent les promesses éteintes !
Ma voix sera alors pour vous le navire,
Chavirant le ciel de sa somptueuse étreinte.

J’ai traversé bien des plaines désertiques,
Où l’on souffrait du soleil comme un esclave.
J’ai perdu la vue dans des montagnes nordiques,
Où la mousse cristalline assassine vous brave.

Mais jamais je n’aurai cru, au plus vif des tourments,
Glorieux et arrogant de les avoir surmonté,
Que je me soumettrai, déloyal combattant,
Aux paysages mystiques que l’on m’a révélé.

Alors que je me reposais aux bordures de l’ennui,
Terrassé dans ma complaisance enfantine,
Fier d’avoir dominé l’horizon qui s’enfuit,
Mon être fut pris d’une stupeur clandestine.
Un monde nouveau se livrait à moi,
Des images et des couleurs que je n’avais jamais cru,
Une mélopée saturnienne et quoi ?
Une terre et une mer qui se dévoilait à ma vue.

L’or et l’argent qui façonnait ses palais immortels
Rendaient aux pupilles ingrates la pureté oubliée
Et l’embrun impalpable que revoyaient les marées
S’encrait dans ma sève par ses vagues sensuelles.

Peut on être maître de ses jours et de sa destiné
Lorsque, saisit par de pareils beautés,
On se laisse dépasser, torturer et jeter,
Abandon de soi devant le tout rêvé.

Mais je ne dormais pas je le dis clairement
Qu’on ne donne à ma verve l’emprunt des songeurs
J’étais on ne peut plus vivant et le cœur battant,
J’avançais face à elle en abandonnant la peur.

Quels trésors sont enfouis au versant de ses pays
Que l’orgueilleuse lumière a su adopter
Quels chemins, quels sentiers vieillît ?
Qu’y a t’il a voir, que puis-je donc emporté ?

Lorsque je posais ma main sur la dune scintillante
Sur ce nouvel univers que l’on m’avait caché
Lorsque mes yeux se glissèrent sur les courbes fuyantes,
J’ai vu pour la première fois et j’étais humilié.

Humilié dans ma chair de ne savoir sentir.
Humilié dans mon âme de m’être trop venté.
Un mal si violent me va donc à ravir.
Cette peine insoluble, je l’avais mérité.

Au noir des nuits je refais ce voyage,
Par vous seuls à présent je suis accompagné
Dans un vestige d’une grâce sans âge,
Les vestiges du temps qui m’a réveillé.

Et que faites vous donc impétueuse créature,
A former si mal dans vos maudites têtes
Les dessins puissants qu’a perdu la nature,
Que j’ai perdu là haut, au bord de cette crête.

Car vous rêvez, gaillards de lourdes aventures,
De chansons et de la gloire, Ulysse de misère,
Je vous l’avoue vainement, présage de vos futurs,
Les plus belles traversées se font en sédentaires.
Car oui ce pays que mon âme a chanté,
N’est pas celui que l’on parcourt à peine.
La peine vous l’aurez soyez en assuré.
Lorsque qu’aussi vous trouvez votre reine.

La femme a dans les yeux bien plus de vertus
Que Gaïa en aurait pu créer.
Elle rit, elle chante et bien sur elle tue,
Nos pauvres âmes atterrées.

La foi est toujours vivace quand le corps est parti
Car un homme qui se sait devenir faible,
Se hait, se bat, frappe et rugit.
Mais toujours retourne au sein de la plèbe.

L’abandon de l’espoir est pire que la mort,
Quand l’une de ces Muses, vous avez prit dans vos bras,
Les regrets sont soigneux et s’appliquent ici bas,
Aux fades âmes damnées, qui rentrent aux ports.

 

Gautier Veret

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